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delbœuf. — la loi psychophysique

porter indéfiniment une pareille ablution. Il ne faut pas évidemment faire entrer ici en ligne de compte l’action de l’eau, qui, n’étant pas notre élément ordinaire, nous fatiguerait à la longue. Pour compléter ces notions, disons que, quand le bain s’échauffe ou se refroidit, le corps se trouve dans un état spécial d’activité que l’on peut appeler l’équilibre dynamique. Ce terme d’équilibre sert encore ici à indiquer que l’état variable du corps répond à chaque instant à l’intensité momentanée de l’action progressive exercée sur lui et en est la traduction fidèle.

Quand l’équilibre — statique ou naturel — est réalisé, le corps est beaucoup plus apte à juger d’une addition ou d’une soustraction de chaleur que s’il est dans un état d’équilibre dynamique, c’est-à-dire en mouvement. C’est ce que tout le monde a pu remarquer. Du moment qu’on est fait à la température de l’eau, un surcroît d’eau chaude ou d’eau froide est vite perçu. Ceux qui prennent des bains de rivière dans des endroits où jaillissent des sources froides le savent bien. Mais cette faculté existe à son plus haut degré aux environs de l’équilibre naturel. Si le bain est très-chaud ou très-froid, on ne juge qu’assez grossièrement des modifications qui surviennent dans sa température ; si, au contraire, il est à peu près ce qu’il doit être, alors notre susceptibilité est singulièrement exaltée, et c’est goutte à goutte que l’on dispense l’eau chaude ou l’eau froide pour lui donner juste la température voulue.

Ces considérations s’appliquent de tout point aux sensations d’un autre ordre. Voici une gravure ; elle contient un nombre considérable de teintes claires et de teintes sombres ; il y a des détails dans les parties ombrées ; quelle série de contrastes, forts, faibles, moyens ! Eh bien, ces contrastés, je ne les aperçois bien qu’à une lumière déterminée. Si je la tiens en main dans un appartement obscur, je m’approcherai des fenêtres ; dans la rue, en plein midi, je choisirai le côté de l’ombre. Augmentez ou diminuez la somme de lumière requise pour la vision nette, certains détails s’évanouissent. C’est le fait que Helmholtz signalait à la sagacité de Fechner[1].

Sous l’action de cette clarté moyenne, on peut dire que l’œil est dans son état d’équilibre naturel. C’est ainsi que, pour que la lecture et l’écriture offrent le moins de fatigue, la lampe de travail doit projeter sur le papier une certaine somme de rayons. C’est pourquoi l’on élève ou l’on abaisse la mèche jusqu’à ce qu’on obtienne l’éclairage voulu. Cependant l’équilibre statique peut aussi se réaliser pour l’œil, et l’on parvient à lire et à écrire sans trop de difficulté sous un

  1. Rev. phil. loc. cit., p. 244.