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herbert spencer. — études de sociologie

loppées. L’hypothèse ressemble à celle qui a donné naissance à la théorie du contrat social : une conception est elle familière à l’homme civilisé, on suppose qu’elle l’était aussi à l’homme à l’état primitif. Mais il n’y a pas plus de raison de croire que les hommes primitifs ont adopté délibérément des symboles qu’il n’y en a de croire qu’ils ont conclu un contrat social. Où l’on aperçoit mieux Terreur de l’opinion régnante, c’est dans le genre le plus développé de symbolisation, dans le langage. Le sauvage ne prend pas son temps pour forger un mot de propos délibéré ; mais les mots qu’il trouve usités et ceux dont il apprend à se servir durant sa vie, sont le produit inopiné d’onomatopées, de sons vocaux qui suggèrent à l’esprit les qualités de certains objets, ou de métaphores provoquées par l’observation de quelque ressemblance. Chez les peuples civilisés, pourtant, qui ont appris que les mots sont symboliques, on prend souvent des mots nouveaux pour servir de symboles à des idées nouvelles. Il en est de même du langage écrit. Les premiers Égyptiens n’ont jamais songé à représenter un son par un signe, mais les monuments qui nous restent d’eux, ont commencé, comme ceux des Indiens de l’Amérique du Nord commencent aujourd’hui, par se couvrir de peintures grossières représentant les événements dont on voulait conserver le souvenir. À mesure que cette manière d’enregistrer les faits prit de l’extension, des peintures, abrégées et généralisées, perdirent de plus en plus leur ressemblance avec les objets et les. actes, jusqu’à ce que, sous la pression de la nécessité d’exprimer des noms propres, on se servit de quelques-unes de ces peintures en leur donnant une valeur phonétique, et alors se formèrent, sans qu’on y songeât, des signes de sons. Mais, de nos jours, on est arrivé à un point où, comme nous le voyons par la sténographie, on choisit intentionnellement des signes spéciaux pour symboles de sons spéciaux. L’instruction à tirer de cet historique est évidente. De même qu’on aurait eu tort de conclure de ce que nous prenons sciemment des sons pour en faire des symboles d’idées, et des signes pour en faire des symboles de sons, que les sauvages et les barbares ont fait la même chose, de même nous aurions tort de conclure de ce que chez les races civilisées on a adopté arbitrairement certaines cérémonies, celles des francs-maçons par exemple, que des peuples non civilisés ont aussi adopté arbitrairement d’autres cérémonies. J’ai déjà, pendant que je faisais ressortir le caractère primitif de l’autorité cérémonielle, énuméré certains modes d’attitude exprimant la subordination, qui ont une genèse naturelle ; mais l’idée sur laquelle je voudrais maintenant attirer l’attention, c’est que tant que nous n’avons pas découvert une genèse naturelle pour expliquer une cérémonie, nous pouvons compter que nous n’en avons