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même la même question : Eh quoi ! l’observation est donc une chose bien difficile qu’un si petit nombre savent la pratiquer, et un nombre encore plus petit savent la pratiquer bien ? Quand je vois chaque jour donner le même nom à des choses si diverses, quand je vois expliquer différemment le mécanisme des faits psychiques, selon le temps où ils se produisent, selon leur diverse nature, selon leurs formes, selon les complications de leurs éléments, je me dis à moi-même : Mais est-ce que le mot d’analyse lui-même n’a pas pour tous le même sens ? Si l’analyse d’un fait psychique avait été faite avec les critères expérimentaux qu’emploient les chimistes et les physiciens pour décomposer un corps ou une force, la synthèse devrait être ensuite la chose la plus facile et la plus naturelle du monde, et devrait se réduire à remettre chaque chose à sa place, de même que, une mosaïque une fois détruite, on pourrait ensuite la reconstruire aussi parfaite qu’elle était primitivement. Malheureusement, c’est le contraire qui arrive. L’analyse faite, ce que beaucoup trouvent entre leurs mains, ce ne sont pas des fragments reconnaissables ; c’est de la poussière, et la mosaïque ne peut être rétablie. Tous, plus ou moins, qui que nous soyons qui usurpons le titre de psychologues, nous faisons beaucoup de poussière et peu d’analyse.

Que ces longs préliminaires me servent d’excuse et m’obtiennent un peu d’indulgence du lecteur, au moment où je vais essayer de traiter un sujet qui n’est pas parmi les plus simples de la psychologie expérimentale : la transformation des forces psychiques.


I. — Une des conquêtes les plus glorieuses de notre siècle est celle de la transformation des forces physiques. Nous avons détruit sans pitié et avec un grand courage tous ces dieux et demi-dieux que nous avions placés entre les atomes, en les appelant lumière, électricité, magnétisme, etc. Nous les avons tous arrachés des entrailles des choses, et, leur enjoignant de se présenter en chair et en os par-devant nos laboratoires, nous avons reconnu qu’ils étaient des fantômes nés de notre ignorance, de demeure inconnue, et obligés de se cacher pour crime contre la science expérimentale. La sylphide aérienne, ceinte d’une auréole aux couleurs de l’arc-en-ciel, qui répondait au nom de lumière et qui dansait dans les rayons du soleil, est morte. Mort, le calorique qui nous réchauffait le cœur et grondait dans les entrailles de la terre ; enterré, le dieu inconnu qui volait sur les fils électriques et foudroyait les hommes du sein des nuées ; évanoui, disparu, le démon mystérieux qui tournait les pointes de nos aiguilles magnétiques vers le pôle de Franklin.

Tous ces dieux sont morts, et à leur place nous ayons trouvé une