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peuvent se transformer les unes dans les autres ; et la quantité de travail produit est toujours égale à l’énergie dépensée. Quand la cellule nerveuse est chargée d’une énergie qui doit être mise en liberté, elle nous donne la sensation, du besoin, de même que, quand elle est épuisée et a perdu cette force qui était à l’état de tension, elle nous donne la fatigue. Les deux formes fondamentales des choses qui proviennent de la tension de l’énergie et de la fatigue d’une même pensée et d’un même sentiment sont des faits empiriques quotidiens, qui sont clairs comme la lumière du soleil pour qui étudie la psychologie comme une branche de la physique.

Les sensations peuvent se transformer en d’autres sensations, en sentiments ou en pensées ; les sentiments peuvent se changer en d’autres sentiments, en sensations ou en phénomènes intellectuels ; les pensées enfin peuvent se transformer en d’autres pensées, en sensations ou en sentiments. Il y a neuf formes élémentaires de transformations qui n’en excluent pas d’autres, mais qui caractérisent la physique générale de ce phénomène et se produisent toutes par sympathie, par contraste, par diffusion d’intensité.


II. — Dire qu’une sensation peut se transformer en une autre sensation spécifiquement différente peut sembler une hérésie, quand on ne songe pas comment dans ce grand réservoir d’énergies centrifuges et centripètes qu’on appelle un cerveau humain sont déposés les souvenirs de milliers de sensations, qui peuvent se réveiller tour à tour. Quand une sensation reste dans son territoire central, elle se transforme en une idée qui n’est pas autre chose en dernière analyse que le souvenir d’une ou de plusieurs sensations. Si au contraire la sensation s’étend par sympathie, par intensité de mouvement ou par d’autres modes encore peu connus de nous, elle peut susciter d’autres sensations périphériques ou centrales.

Le toucher, sens positif par excellence et forme première de tous les sens spécifiques, transforme souvent ses vibrations en phénomènes sensibles qui se rapportent à d’autres territoires. Ainsi vous voyez souvent une sensation de nature purement tactile se convertir en une sensation voluptueuse qui se manifeste dans des organes très-éloignés de celui par lequel nous avions d’abord perçu le contact. Ainsi les gourmands, en palpant les chairs d’une tendre poularde ou en faisant sauter dans leurs mains une pêche juteuse et parfumée, sentent réellement la saveur du poulet et de la pêche. Ordinairement, le tact est pauvre de sympathies physiologiques ; mais, chez les hommes doués d’une sensibilité excessive, vous assistez à cent transformations d’une sensation en une autre. Le toucher