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carrau. — moralistes anglais contemporains

C’est là, nous semble-t-il, une concession fort importante ; nous ne voyons pas trop comment on pourrait ainsi exclure le déterminisme d’un petit canton de la morale si sa présence n’était pas illégitime dans le reste. Toutes les idées constitutives de la morale s’impliquent réciproquement, et celle qui les domine toutes, c’est, nous l’avons dit, l’idée d’obligation. Or, qui dit obligation dit liberté. Je ne suis obligé à choisir telle détermination plutôt que telle autre que parce qu’aucune contrainte extérieure, aucune fatalité d’organisation ou de caractère, aucun enchaînement invincible de résolutions antérieures, ne m’y forcent. Et cela, c’est la liberté. La notion du libre arbitre se trouve ainsi à la racine même de la morale tout entière ; il suffit, pour l’affirmer, que nous ayons conscience d’être des agents moraux. Les difficultés métaphysiques qu’elle soulève peuvent être fort graves ; mais on n’a pas encore démontré qu’elles fussent insolubles, et il faut bien qu’elles ne le soient pas, à moins que la vérité dans l’ordre moral ne soit contradictoire avec la vérité dans l’ordre métaphysique. Nous croyons même que, puisque le libre arbitre est condition essentielle de la moralité, il y a quelque vice de méthode à transporter le problème dans le domaine de la métaphysique. Nous sommes très-assurés que le devoir existe et qu’il est obligatoire, par suite que nous sommes libres ; mais nous sommes beaucoup moins certains qu’un déterminisme invincible soit la loi de tous les phénomènes de l’univers ; c’est là, en tout cas, une proposition qui n’a rien d’évident par elle-même, une induction assez lointaine, peut-être contestable, d’un nombre restreint de faits connus. Mettons qu’en tenant fortement ce bout de la chaîne, pour rappeler la comparaison de Bossuet, il ne nous soit pas possible d’apercevoir une place pour le libre arbitre : je dirai que ce bout est obscur, qu’il plonge dans les mystères de l’origine et de l’essence des choses, et que nous avons même quelques motifs de nous demander si nous le tenons réellement ; l’autre bout, au contraire, c’est l’obligation.morale, et celui-là, il est en pleine lumière de conscience, il est tout près de nous, il est la raison même de notre être, et, de ce côté, la liberté forme le premier anneau de la chaîne. Nulle logique ne nous force à lâcher cette certitude, sous prétexte qu’elle pourrait bien n’être pas en accord avec quelques clartés douteuses qui flottent là-bas à l’horizon.

II


Après avoir déterminé les trois méthodes fondamentales en morale, M. Sidgwick étudie successivement chacune d’elles, en commençant par celle de l’égoïsme.