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Le principe de l’égoïsme, c’est cette proposition que le but rationnel de la conduite pour chaque individu est d’atteindre à la somme la plus grande possible de son propre bonheur ou de son propre plaisir.

M. Sidgwick estime que, de tous les principes de la morale, nul n’a été plus généralement proclamé et accepté que celui-là. Les utilitaires de l’École de Bentham, tout en proposant pour fin de l’activité le plus grand bonheur du plus grand nombre, reconnaissent qu’il est raisonnable que chaque individu tende au maximum de son propre bonheur. De son côté, le représentant le plus autorisé de l’intuitionisme en Angleterre, l’évêque Butler, accorde que « nos idées de bonheur et de malheur sont celles qui nous touchent de plus près et qui ont pour nous le plus d’importance… ; que, bien que la vertu et la rectitude morale consistent à aimer et à poursuivre ce qui est bien et droit pour eux-mêmes, pourtant, aux heures de sang-froid, nous ne pouvons justifier à nos yeux une telle poursuite, jusqu’à ce que nous ayons acquis la conviction qu’elle contribuera à notre bonheur, ou du moins qu’elle n’y sera pas contraire. » Clarke lui-même admet que « si la vertu mérite d’être choisie pour elle-même…, on ne peut cependant raisonnablement croire que les hommes préféreraient la vertu à toutes les commodités de la vie et à la vie elle-même, sans l’espoir d’une récompense dans l’avenir. » Au fond de toutes les spéculations des philosophes grecs sur le souverain bien, au fond de la doctrine chrétienne elle-même, se retrouve l’assertion que l’homme doit rechercher, sinon exclusivement, au moins principalement, son bonheur personnel.

La notion de ce bonheur, c’est, plus précisément, celle d’une vie arrangée de telle sorte que la quantité du plaisir senti par la conscience dépasse la quantité de peine sentie, dans la proportion la plus large possible. Stuart Mill, on le sait, a prétendu que, dans le choix des plaisirs, il faut considérer non pas seulement la quantité, mais la qualité. Ce nouveau critérium est illusoire. Si l’on veut que la méthode du système égoïste reste claire et cohérente, on ne doit tenir compte de la qualité, comme condition de choix, qu’autant qu’elle peut se ramener à la quantité.

L’égoïsme se confond donc avec l’hédonisme pur, ou recherche du plaisir tel qu’il est connu et mesuré par l’expérience. On objectera que le plaisir n’est pas la seule chose vers laquelle nous portent nos impulsions naturelles ; nous recherchons encore certains biens, tels que la richesse, la santé, la beauté, la science, la réputation ; mais la plus simple réflexion suffit à montrer que ces biens ne sont recherchés qu’à titre de simples moyens pour arriver au bonheur, c’est-à-dire à