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Il est donc possible que, lorsque la partie coupée est conservée, la mutilation ait un effet secondaire de nature gouvernementale. L’homme subjugué est soumis à l’obéissance par une crainte analogue à celle que Caliban exprime à la pensée des tourments que Prospero peut infliger par des moyens magiques.

Nous possédons donc des faits nombreux et variés qui prouvent que la mutilation du corps de l’homme vivant est une conséquence de l’usage de prendre des trophées sur le mort. Comme le trophée suppose la victoire allant jusqu’à la mort du vaincu, la pratique de couper une partie du prisonnier vivant, qui dérive de la première, en vient à signifier la subjugation ; à la fin, l’abandon volontaire de cette partie exprime la soumission et devient une cérémonie propitiatoire, parce qu’elle exprime cet état.

On coupe les mains aux ennemis morts ; comme pendants de ces trophées, nous avons des mutilations identiques infligées à des criminels, et l’amputation des doigts ou de portions de doigt pour apaiser dés chefs vivants, des morts et des dieux. Au nombre des trophées pris sur les ennemis tués, on compte le nez ; on inflige la perte des nez aux prisonniers de guerre, aux esclaves pour certains crimes. On rapporte des oreilles coupées sur le champ de bataille ; on rencontre de temps en temps l’usage de couper les oreilles aux prisonniers, aux criminels, aux esclaves, et il y a des peuples chez qui les oreilles percées sont le signe de la servitude ou de la sujétion. Les mâchoires et les dents sont aussi des trophées ; dans certains cas, on arrache des dents pour apaiser un chef mort, et dans d’autres un prêtre les arrache par une cérémonie quasi-religieuse. La preuve tirée de la mutilation de la chevelure est plus forte et plus complète. On scalpe les ennemis tués, et leur chevelure sert parfois à orner le vêtement des vainqueurs ; de là diverses conséquences. Tantôt on rase le vaincu réduit en esclavage ; tantôt les hommes portent leurs cheveux du sommet de la tête comme un objet qui appartient à leur chef, qui peut les réclamer comme un gage de soumission ; ailleurs, on rase la barbe de certains individus pour en orner la robe de leur suzerain, ce qui fait que la barbe longue devient le signe d’un rang élevé. Chez un grand nombre de peuples, le sacrifice de la chevelure est un usage pour fléchir l’esprit des parents morts ; des tribus entières se coupent les cheveux à la mort de leur chef ou roi ; l’abandon de la chevelure est aussi une expression de soumission aux dieux ; parfois, on l’offre à un supérieur vivant en signe de respect, et cette offrande honorifique s’étend à d’autres. Il en est de même des mutilations des organes génitaux ; on les enlève comme trophée aux ennemis morts et aux prisonniers vivants, et on les offre