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lévêque. — l’atomisme grec et la métaphysique

outre de même capacité, on peut ensuite remettre l’outre pleine de vin dans le tonneau, qui se trouve ainsi contenir cette fois d’abord le vin, plus l’épaisseur de l’outre. La conclusion était que le vin contenait en lui-même un vide équivalent à l’épaisseur de la peau de l’outre. M. Barthélémy Saint-Hilaire juge avec raison que cette preuve ne vaut rien, parce que le vin est incompressible. M. J. Dumas, dans ses Leçons sur la philosophie chimique, explique clairement en quoi consistait l’illusion des atomistes. « Leucippe, dit-il, ne s’apercevait pas que l’outre était extensible et que le vin qu’il s’imaginait avoir comprimé dans le point où la pression avait lieu était simplement refoulé dans les autres parties de l’outre[1]. » Il faudrait savoir encore — ajouterons-nous — si le tonneau était bien plein au début de l’expérience, si l’on mettait bien dans l’outre tout le vin du tonneau, et enfin comment on refermait le tonneau par-dessus l’outre.

Le second fait cité par Aristote montre quelle imparfaite connaissance les atomistes avaient du phénomène de la nutrition. « Il paraît — disaient-ils — que dans tous les êtres le développement ne peut se faire qu’à la condition du vide, car les aliments que les êtres absorbent sont un corps et il est impossible que deux corps soient ensemble dans le même lieu[2]. » — Sans doute, la nutrition suppose que les aliments trouvent où se placer ; mais la démolition s’opère au fur et à mesure de la construction, et les matériaux qui sortent font place à ceux qui entrent.

La troisième expérience était celle du vase plein de cendres, lequel cependant admet autant d’eau même étant plein de cendres qu’il en contiendrait étant vide[3]. Ici, le fait est tout simplement faux, car la cendre occupe dans le vase une certaine place que l’eau ne saurait occuper en même temps.

Sans aucun doute, les atomistes estimaient ces expériences concluantes. Et cependant, qu’ils en eussent ou non conscience, et comme s’ils eussent senti qu’elles ne se suffisaient pas à elles-mêmes, ils les établissaient sur ce principe tantôt exprimé, tantôt sous-entendu par eux, que deux corps ne peuvent pas au même instant occuper le même espace. Ce principe, ils semblent l’avoir méconnu, ou du moins oublié dans la troisième preuve expérimentale : mais ils l’annonçaient expressément dans la seconde, dans l’argument physiologique, où ils disaient : « Deux corps ne peuvent exister ensemble

  1. Leçons sur la philosophie chimique, 2e  édition, 1878, p. 200.
  2. Aristot., Physiq., liv. IV, en. viii, Didot, p. 292.
  3. Même endroit.