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dans le même lieu (δύο δὲ σώματα ἀδύνατον ἅμα εἶναι)[1], » N’était-ce pas avouer implicitement, d’une première façon, que l’expérience n’a qu’une solidité d’emprunt, puisque sa base est en dehors d’elle-même ?

Or, ils l’avouaient d’une autre façon, et cette fois avec plus de netteté, lorsqu’ils déduisaient directement la nécessité du vide de l’impossibilité du mouvement sans le vide. Aristote dit en parlant d’eux : « Ceux qui ont affirmé l’existence du vide se rapprochent davantage de la vérité. Un premier point qu’ils soutiennent, c’est que, sans le vide, il n’y a pas de mouvement possible dans l’espace puisque le mouvement, s’il n’y avait point de vide, ne pourrait avoir lieu (οὐ γὰρ ἄν δοϰεῖν εἶναι ϰίνησιν, εἰ μὴ εἴη ϰένον). Le plein évidemment ne peut rien admettre ; et s’il admettait quelque chose, et qu’il y eût alors deux corps dans un seul lieu, il n’y aurait pas de raison pour que tous les corps, quel qu’en fût le nombre, ne pussent s’y trouver en même temps, car on ne saurait indiquer ici une différence qui ferait que cette supposition cessât d’être admissible. Mais si cela est possible, le plus petit pourrait alors recevoir et contenir le plus grand…[2]. » La forme exacte et précise de ce raisonnement un peu embarrassé serait le syllogisme suivant :

Deux corps ne peuvent occuper au même instant le même espace ;

Or si le mouvement se produisait sans l’existence du vide, deux et même plusieurs corps occuperaient au même instant le même espace ;

Donc le vide existe.

Maintenant, si l’on examine un à un tous les textes relatifs à l’atomisme, on ne trouvera nulle part une démonstration quelconque de ce jugement que deux corps ne peuvent occuper au même instant le même espace. Les atomistes le tenaient donc pour une proposition évidente, pour un axiome supérieur à la fois au raisonnement et à l’expérience, puisqu’ils l’employaient, nous l’avons vu, comme support tantôt de l’expérience et tantôt du raisonnement.

Ce vide, condition de tout mouvement, était si peu, dans leur pensée, le fruit d’une connaissance expérimentale, qu’ils le déclaraient infini. Et ce mot ne signifiait pas, dans leur langage, un simple indéfini, une quantité à laquelle on peut ajouter toujours, ou de laquelle on peut toujours retrancher quelque chose. Ils avaient enlevé au vide tout caractère de limitation, variable ou invariable, en disant que cet infini n’a ni haut ni bas, parce que le haut et le bas expri-

  1. Même endroit.
  2. Même endroit. Didot, p. 293.