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appelé sensibilité l’ensemble de ces fonctions, quand le cerveau était intact, nous continuons à l’appeler sensibilité quand le cerveau est détruit, en ajoutant le mot inconsciente qui précise le fait particulier, et indique qu’il n’y a plus de perception proprement dite. L’action réflexe qui se produit quand l’encéphale est enlevé nous montre bien que les éléments nerveux continuent à réagir contre l’excitation ; c’est cette réaction des éléments nerveux contre les excitations venues du dehors qu’on a appelée sensibilité, ou irritabilité. Le mot sensibilité signifie donc irritabilité du système nerveux : jamais dans la langue physiologique il n’a voulu dire autre chose, et il vaut peut-être mieux garder cette expression, assez imparfaite, que d’en créer une nouvelle, ou se servir du mot irritabilité qui est beaucoup trop vague, et s’appliquerait également aux glandes, aux muscles, aux épithéliums et au système nerveux. On peut donc dire la sensibilité d’un élément nerveux. C’est comme si l’on disait l’irritabilité d’un élément nerveux.

Sans vouloir entrer dans une discussion trop étendue, j’ajouterai qu’il y a une grande quantité de sensations reçues par le cerveau et dont nous n’avons pas le moins du monde conscience. Ce sont là des vérités élémentaires. Le meunier qui s’endort au bruit de son moulin et se réveille quand le bruit cesse, a une sensation inconsciente ; quand nous nous rappelons tout d’un coup un souvenir que nous croyions effacé depuis longtemps, c’est en vertu d’une opération inconsciente de l’intelligence. Cette conscience des phénomènes cérébraux tels que l’imagination, la sensation, le souvenir, est un phénomène nouveau qui vient pour ainsi dire se superposer à ces phénomènes, mais qui n’est pas indispensable pour qu’ils se produisent. Il y a des sensations, des souvenirs, avec conscience ; comme il y a des sensations, des souvenirs, sans conscience. La langue n’est peut-être pas irréprochable au point de vue de l’étymologie des mots sentir et sensation, mais il suffit qu’elle soit claire, pour qu’un néologisme ne soit pas indispensable.

C’est surtout le mot phosphorescence qui a étonné M. Egger. Comparer l’activité de l’âme qui a reçu une excitation, à un bâton de phosphore exposé à la lumière, c’est en effet une comparaison hardie et faite pour surprendre. Mais, pourquoi supposer que M. Luys attache à cette métaphore une exactitude mathématique : ce n’est qu’une image employée pour faire comprendre un fait, et, si le fait est vrai, ce serait une puérilité que d’accuser M. Luys de croire que le cerveau devient phosphorescent, quand les excitations des sens viennent le frapper. Ce mot phosphorescence veut dire simplement qu’une excitation, après avoir touché le cerveau, ne va pas s’y éteindre, mais que l’ébranlement continue, même lorsque la cause