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impossible que deux et deux donnent cinq ; de deux propositions particulières on peut tirer une conclusion légitime (p. 142-164).

L’hypothèse idéaliste de Kant est plus spécieuse. En voici le vice radical. Il est faux que dans la formation des jugements synthétiques à priori la pensée emploie, comme moyen terme, l’intuition à priori du temps. C’est au contraire de la notion d’homogénéité qu’elle s’autorise pour établir entre le sujet et l’attribut de ces jugements une relation nécessaire et universelle ; et cette notion est entièrement indépendante du temps et de l’espace. Le schème fournit seulement à l’intelligence les signes auxquels elle peut reconnaître la possibilité ou la nécessité d’appliquer les catégories aux objets qu’elle étudie. De cette méprise sur le rôle du schématisme découlent les erreurs suivantes : 1° L’universalité et la nécessité des jugements synthétiques à priori ne sont pas absolues, mais restreintes à l’horizon de l’esprit humain. 2° La vérification incessante de ces jugements par l’expérience n’est pas expliquée. 3° Ces jugements ne résident pas en un être substantiellement simple, et l’unité synthétique de la conscience n’est pas une unité réelle. Selon les propres paroles de Kant, « l’intelligence ne se connaît elle-même que comme elle s’apparaît au point de vue d’une certaine intuition, et non comme elle se connaîtrait si son intuition était intellectuelle. » Et par là le système de Kant se trouve infirmé, selon la règle de recherche posée plus haut (p. 167-193). — Certes, il est permis de douter que la profonde théorie du schématisme, cette citadelle du kantisme, puisse être ainsi emportée d’assaut comme par surprise. On peut se demander si la notion d’homogénéité est « entièrement indépendante du temps et de l’espace », et si, par exemple, elle n’implique pas la notion de pluralité, qui n’est elle-même intelligible que par le schème du nombre. Mais, quoi qu’on en pense, on appréciera dans ces pages un modèle de discussion savante et bien liée.

L’hypothèse matérialiste, aux mains d’un penseur exercé, et appuyée sur les récentes généralisations de la science, pourrait accepter et justifier en partie la loi fondamentale de la raison, en la présentant comme l’expression de la correspondance nécessaire entre la composition de la matière et la nature de la pensée. Mais il y manquerait toujours l’unité substantielle du sujet pensant, et c’est assez pour la convaincre d’erreur (p. 194-212).

L’hypothèse panthéiste échoue de même à établir l’unité de la substance. Elle n’y parvient pour l’unité suprême qu’en réduisant l’être à un degré d’abstraction où la réalité s’évanouit en même temps que la multiplicité ; et elle n’y parvient pas du tout pour l’âme, dans l’impossibilité de faire entendre qu’un mode ait conscience de la substance où il réside (p. 212-232).

L’auteur expose alors une solution rationnelle où le monde est considéré comme un système de forces simples procédant d’une cause première intelligente et créatrice. C’est l’hypothèse spiritualiste. D’une cause première, distincte du monde, dérive une pluralité de forces homo-