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Nulle autre originalité qu’une distinction exquise et le plus rare mélange d’élégance et de correction, d’aisance et de gravité. D’une sociabilité charmante sans banalité, il était affable envers tous, surtout envers les petits. Il s’échauffait volontiers dans la discussion, mais n’y apportait jamais ni intolérance ni aigreur : il laissait parler ses contradicteurs et savait écouter. La seule chose qu’il ne pût souffrir, c’était la mauvaise éducation. Pour lui, la politesse était plus qu’un ornement ; c’était un devoir chrétien, la première marque de la bonté. Il était économe par amour de l’ordre, mais généreux par nature ; tenait ses comptes minutieusement et n’en faisait que plus grande la part des pauvres. Il blâmait comme une dureté de cœur et un manque d’humanité la manie qui fait dépenser pour des animaux inutiles de quoi tirer de la misère des familles laborieuses. Causeur aussi discret que spirituel, il raillait souvent, ne blessait jamais. Ce parfait homme du monde avait plus que personne cet humour britannique, fait d’ironie pénétrante et de mélancolie, qui exprime plaisamment des pensées profondes. Avec cela, solide, fidèle à la parole donnée, de bon conseil, et, sans jamais faire parade de son savoir, toujours prêt à faire profiter les autres de son expérience. En somme, tous les meilleurs traits du caractère anglais, avec prédominance des qualités fines sur les qualités fortes, moins de hardiesse et plus de grâce. Il n’était pas moins Anglais par toutes les tendances de son esprit, libre avec passion, mais ayant horreur de la critique purement destructive et peu de goût par la spéculation pure. « Il aimait par-dessus tout la vérité, dit lady Masham, la vérité pour elle-même, toute vérité, mais surtout les vérités utiles. »

Nous avons maintenant à nous demander quels fruits a portés, quelle œuvre durable a accomplie cet esprit vaste et excellent, qui paraîtrait plus grand peut-être, s’il eût été moins bien équilibré.

Henri Marion.
(À suivre.)