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ÉTUDES DE SOCIOLOGIE

LE GOUVERNEMENT CÉRÉMONIEL[1]

IV. Présents.


Quand nous lisons que Cook « présenta au roi (d’Otahiti) deux grandes hachettes, quelques chapelets brillants, un miroir, un couteau et quelques clous ; » ou quand Speke, décrivant sa réception par le roi d’Uganda, raconte : « Je dis alors que j’avais apporté le meilleur fusil du monde — la carabine de Whitworth — et que je le priais de l’accepter avec quelques autres bagatelles ; » nous voyons comment les voyageurs, venant en contact avec des peuples étrangers, cherchent à gagner leur faveur par des présents. Deux résultats concomitants sont obtenus de cette façon : la satisfaction immédiate causée par le prix de la chose donnée tend à faire naître une disposition amicale chez les personnes que l’on approche ; en outre, l’expression tacite d’un désir de plaire produit un effet analogue. Ce désir est le germe d’où se développe l’usage de faire des présents comme acte cérémoniel.

Le lien entre les mutilations et les présents — entre l’offre d’une partie du corps et celle d’un autre objet — est mis en lumière par un récit de Garcilasso touchant les anciens Péruviens. On y voit en même temps comment l’offre de présents devient un acte de propitiation, abstraction faite de la valeur de l’objet offert. En décrivant des hommes qui portent des fardeaux à travers les défilés des montagnes, Garcilasso rapporte qu’ils ôtent leur charge sur le sommet et s’adressent ensuite chacun au dieu Pachacamac, en ces termes :

« Je te rends grâces que ceci a été porté » ; et, présentant une offrande, ils s’arrachaient un poil du sourcil, ou ils ôtaient de leur bouche l’herbe appelée coca, comme l’objet le plus précieux qu’ils eussent à offrir. Ou, s’il n’y avait rien de mieux, ils offraient un petit bâton, un brin de paille, ou même un morceau de pierre ou de terre. On trouvait de grands monceaux de ces offrandes sur les sommets des défilés à travers les montagnes. »

  1. Voir les numéros de Janvier, Février, Mars 1878.