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ANALYSESnoire. — Der Ursprung der Sprache.

Jérusalem. » Comme le rire, les larmes sont contagieuses, et, comme lui, elles ont besoin, pour éclater, d’un objet d’intuition externe. Le moindre trait quelquefois, par cela seul qu’il provoque cette représentation intuitive, les excite tout à coup. Que de traits de ce genre on pourrait citer dans les œuvres des grands poètes !

Ces expressions des mouvements de l’âme, le rire et les pleurs, qui sont si particuliers à notre race et sont comme notre caractéristique physiologique, qui nous sont à la fois si intimes et si compréhensibles, ne s’expliquent en réalité que par une disposition plus haute à la sociabilité, par la vie en commun, des sensations communes et de communs sentiments.

Le jeu, d’une manière générale, c’est-à-dire le chant, la musique et la danse, le jeu, qui est seulement la manifestation du sentiment joyeux de l’existence, l’expansion sonore, rythmique de sensations intérieures, diffère par cela même du rire. Il est sans but ; il n’est pas le résultat d’une activité fructueuse ; il n’aurait jamais suffi pour créer un langage. Si l’homme, suivant l’expression de Humboldt, est un « être chantant, mais capable de lier des pensées aux sons », cette faculté de changer en mots les sons que la sensation fait spontanément produire aux êtres animés suppose toute autre chose que la sensation elle-même. Ce fut de l’activité commune dirigée vers un but commun, ce fut du travail primitif de nos premiers parents, que jaillit le langage et, avec lui, la vie de la raison. » Nous avons encore aujourd’hui le moyen de nous représenter, ou mieux de saisir sur le fait, ce premier développement du langage, » Dans une attaque, animée de l’espoir de la victoire, aujourd’hui encore c’est par des cris libres et puissants que les soldats enflamment leur courage, comme autrefois les combattants d’Homère ou les guerriers germains marchant à l’ennemi avec leur barritus redouté. S’agit-il d’une autre entreprise dangereuse qu’il faut tenter en commun, relever un vaisseau échoué, résister aux éléments déchaînés, venger une insulte faite à tout un peuple, on sait comment, sous l’inspiration d’un sentiment commun, une commune action se traduit par une clameur unanime… Sur les monuments les plus anciens de l’Égypte, on voit le joueur de flûte, à bord du navire, exciter les rameurs. C’est, dès l’antiquité, une application du principe de la division du travail : le son de la flûte retentit dans la poitrine des rameurs et leur épargne la peine de chanter ou de crier eux-mêmes. » Ces sons produits et compris en commun se sont transformés peu à peu en la parole humaine.

Le contenu du langage, en effet, n’est pas un simple reflet, à l’origine, des données des sens, des phénomènes confusément entrevus et passagers ; c’est quelque chose de pensé qui a son fondement dans l’activité de l’homme. La philologie empirique, avec les ressources dont elle dispose dès maintenant, peut montrer comment des différenciations plus ou moins fortuites des sons ont amené par degrés la différenciation des idées et produit la diversité des langues. M. Noire