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promenades, etc. Enfin les changements que l’homme a opérés sur la surface de la planète terrestre sont bien plus considérables que ceux dont l’activité des animaux est l’origine. Ces remarques sont justes, mais à une condition : c’est qu’on reconnaisse que les différences ne portent ici que sur l’extension diverse des caractères signalés, très-minime chez l’animal, immense chez l’homme. Ainsi M. Vignoli n’ignore pas le rôle qu’ont joué des animaux infiniment petits dans la constitution de puissantes assises géologiques, ni que c’est à des polypes que des archipels entiers doivent leur naissance ; il sait quelle part est dévolue aux oiseaux et aux insectes dans la dissémination des graines et des poussières fécondantes ; et le tableau qu’il trace au début de son livre de l’activité inouïe de ces myriades d’ouvriers qui peuplent les profondeurs des mers et la surface du globe, tableau trop brillant certes et trop complet pour que nous ayons l’idée de le recommencer, est la meilleure réponse qu’on puisse opposer aux exagérations de ses dernières pages. Il connaît aussi combien les animaux sont avides de parures et que, du bas en haut de l’échelle zoologique, la reproduction est accompagnée d’un déploiement de magnificences qui semble souvent dépasser les nécessités de la fonction. Par exemple, les temples d’amour du chlamydère ne sont pas édifiés en vue d’une satisfaction physique. D’autre part, les édifices religieux et mortuaires sont considérés à l’origine comme les demeures effectives des divinités et des mânes : et il n’est pas un art dont on ne puisse signaler les origines utilitaires. Enfin, si l’animal en général se sert de son corps plus que d’instruments « objectifs », il faut bien reconnaître, quoi qu’en dise M. Vignoli, que la toile de l’araignée, le piège du fourmi-lion, le gâteau de l’abeille, le nid de l’oiseau sont des instruments véritables, quoique très-simples par rapport aux nôtres : de ce que l’animal se sert de ses organes pour les fabriquer, nous ne voyons aucune conséquence à tirer, si ce n’est que son industrie est étonnamment moins compliquée que la nôtre, car nous aussi nous servons de nos mains pour fabriquer nos instruments premiers. Nous nous rappelons à cette occasion de quelle surprise nous fûmes saisi, quand un jour, au Jardin botanique du Havre, ayant observé l’air embarrassé, suppliant d’un petit singe qui frappait inutilement une noix sur le sol, nous lui donnâmes un caillou et que nous le vîmes s’en servir de la manière la plus naturelle du monde pour briser la coquille. On entendait près de là le bruit de la machine à vapeur qui fait monter l’eau de mer dans les bacs de l’aquarium, et nous ne pûmes nous empêcher de rapprocher par la pensée les deux instruments. On comprend du reste que, quand on compare des points aussi éloignés d’une même