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espinas. — études de psychologie comparée

cience réfléchie ? L’auteur a cru trouver dans son raddoppiamento une solution ; à notre avis ce n’est qu’un problème.

Problème d’autant plus inévitable que suivant lui le phénomène s’est produit tout d’un coup, instantanément (p. 170 et 185). Quand ? où ? comment ? Il ne le dit pas et feint d’ignorer que ces questions peuvent lui être posées. Cependant il valait la peine de s’interroger sur la cause prochaine d’un événement que lui-même appelle « profond, solennel, prodigieux, » qu’il célèbre avec emphase, et qui a tellement métamorphosé l’être en qui il s’est accompli, que c’est une « immense illusion » de ne voir entre lui et les autres êtres vivants qu’une différence de degré (p. 172). Heureux M. Vignoli, s’il se comprend lui-même quand il a présentes à l’esprit les deux affirmations essentielles qui résument, selon lui, la différence entre l’homme et la bête : l’animal devient intellectuellement homme sans acquérir une seule faculté nouvelle, par l’emploi nouveau des facultés qu’il avait déjà, — et l’homme diffère de l’animal autrement qu’en degré ! Pour nous, l’intelligence de ce précieux phénomène du redoublement instantané qui fait qu’un être diffère d’un autre en nature sans cesser d’être le même nous paraît d’autant plus difficile que nous nous rappelons un passage du même auteur où il affirme déjà que la différence entre l’animal et la plante tient exclusivement à ce que le premier a le sentiment explicite de lui-même (490). Devons-nous croire que l’homme a seulement une conscience plus explicite que l’animal et que la plante ? Mais nous venons de voir que ce serait une « immense illusion ». Comment se fait-il dès lors que le sentiment explicite, après avoir servi à différencier l’animal de la plante, serve encore à différencier la nature humaine de la nature animale ? Tout cela ne va pas sans quelque mystère.

Passons sur les pages où M. Vignoli célèbre lui-même « la profondeur, l’ampleur et la simplicité » de la loi qu’il a « découverte », et examinons les caractères qu’il attribue à l’industrie humaine pour la mieux distinguer de l’industrie animale. D’abord, nous dit-il, l’animal se sert directement de ses organes pour agir sur la matière, tandis que l’homme se sert d’une partie de la matière plus ou moins compliquée pour agir sur le reste ; bref, le premier n’a pas d’instruments, et le second en emploie un nombre infini. Ensuite les œuvres de l’animal n’ont jamais d’autre but que la satisfaction d’un besoin ; elles trouvent toutes leur raison d’être dans une utilité que leur auteur en retire : l’homme seul édifie et travaille en se proposant pour but la satisfaction d’un sentiment esthétique et moral ; tels sont les monuments qui se rapportent au culte, aux fastes nationaux, à la commémoration des morts, à l’ornementation de lieux divers, places,