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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

dieux. Qu’avait-il fallu pour rendre possible cette tolérance sans exemple et si bienfaisante ? Il avait suffi que Numa, comprenant la nécessité d’une religion nationale inséparable de l’État, fidèle auxiliaire de l’autorité politique et garantie de l’ordre public, comprît aussi la nécessité de réduire les dogmes de cette religion d’État à un très-petit nombre d’articles de foi, assez simples pour ne comporter ni interprétations subtiles ni divergences, assez généraux pour ne choquer la croyance d’aucun homme tant soit peu religieux et même d’aucun homme honnête. Point de factions, point de divisions à redouter dans cette Église identique à l’État, qui n’imposait d’autre credo que celui-ci : Les dieux sont les auteurs de tous nos biens ; — pour mériter ces biens, il faut honorer les dieux, et le premier hommage à leur rendre est d’être innocent, bon et juste. Il est clair qu’une religion si large laissait entière la « liberté de conscience ». Or, ne prescrivant rien que de conforme aux lois et d’avantageux à l’État, comment fût-elle devenue une cause de trouble pour l’État lui-même ? « Comme la religion romaine faisait partie de l’organisation politique, le clergé à Rome était composé de citoyens tout dévoués à l’intérêt de l’État. Loin de former un corps indépendant du reste de la communauté et capable de balancer le gouvernement, ce clergé était institué de façon à n’avoir ni aucun intérêt à agir contre le bien public, ni aucun pouvoir de le faire… Faute d’une constitution de ce genre, que voyons-nous dans la moitié de l’Europe moderne ? L’Église en possession d’un pouvoir sans limites, ayant ou usurpé la suprématie, ou tout au moins conquis l’indépendance à l’égard du pouvoir civil, capable, là même où elle peut le moins, de regarder en face les gouvernements, grâce à ses immenses richesses, et de soulever des convulsions, telles que les États de l’antiquité n’en connurent jamais. » — Cette page curieuse (encore n’est-ce pas la plus vive de ce précieux fragment) nous montre avec quelle verve hardie et quelle fermeté de main Locke esquissait, dès Oxford, sa théorie des rapports de la religion et de l’État. Nous avons là la clef de tout ce qu’il y a d’excellent comme de défectueux dans ses écrits ultérieurs sur la tolérance.

Rien ne fait mieux voir à la fois le fort et le faible de sa pensée que sa « Constitution de la Caroline ». La religion est imposée par les lois, en ce sens que, pour avoir droit à la protection des lois et au titre de citoyen, il faut être membre d’une Église reconnue, professer une croyance reçue : voilà qui donne à craindre pour la liberté. Mais le credo exigé est réduit, en fait, à un minimum qui rassure. Il suffit de croire à Dieu et d’admettre un culte public, moyennant quoi les citoyens peuvent se grouper à leur gré, former