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ANALYSESdühring. — Cursus der Philosophie.

n’était, pour ce dernier, que la manifestation politique des volontés individuelles. Chez Hegel, la notion s’obscurcit encore. — La diversité des caractères individuels, qui dépend de l’énergie et du mélange des dispositions au jugement et à l’acte, décide de la diversité des déterminations volontaires. La bonté de ces dispositions, naturelles ou acquises, produit le contentement de soi-même. Un mauvais naturel rend tout d’abord malheureux celui qui le possède. « L’homme, en qui se retrouvent les penchants de la bête, ne peut avoir de lui-même qu’une conscience purement animale, et, s’il se trouve placé au milieu d’une société supérieure, une conscience pire encore que bestiale. — Le devoir est un rapport entre les personnes. Nous ne nous sentons pas de devoirs envers la nature : « Un homme solitaire n’aurait pas de devoirs. » L’idée du devoir ne s’éveille, qu’autant que la volonté d’un homme se reconnaît intérieurement obligée de répondre aux exigences de la volonté d’autrui. — Les volontés étant égales, le premier devoir que la morale leur impose, c’est de respecter leur liberté réciproquement. « Tant que la volonté ne porte pas atteinte à l’indépendance des autres, elle est absolument libre d’agir : l’obligation (das sollen) n’existe pas pour elle. » L’obligation n’apparaît qu’après la première violation de la liberté d’autrui. Si une volonté étrangère travaille non à opprimer, mais à favoriser ma liberté, j’en dois naturellement éprouver de la reconnaissance ; et ce sentiment ne saurait manquer sans que la volonté bienfaisante se reconnaisse lésée. Mais cette seconde espèce d’obligation est moins stricte que la précédente. — Lorsque la bête et l’homme sont mêlés dans un individu, on se demande si les mêmes rapports moraux peuvent exister entre lui et un homme vraiment digne de ce nom, qu’entre deux individus véritablement hommes. Machiavel jugeait, et avec raison, que l’honnête homme ne peut pas, au milieu des coquins, agir d’après les règles de la morale ordinaire. La ruse et la violence sont ici des armes nécessaires. La guerre est un cas semblable. Il serait, sans doute, excessif de n’admettre que la lutte sans merci, la guerre à mort ; n’avons-nous pas supposé chez le méchant un reste de sentiments humains ? « L’homme véritable combat la bête avec toute son énergie et son habileté : il ne descend pas pour cela au niveau de la bête. » C’est dans cette mesure que doit être soutenue la lutte des bons contre les ennemis qui menacent leur existence et leur liberté. — Il ne suffit pas aux rapports des individus, qu’ils s’abstiennent de se contrarier : il faut encore qu’ils s’entendent réciproquement pour agir. Nous dérivons d’un contrat réciproque les obligations positives du droit privé et politique, en dépit des protestations élevées par l’esprit rétrograde du xixe siècle. Le contrat, d’ailleurs, ne fait que sanctionner les impulsions mêmes de la nature. Le contrat réclame la bonne foi des contractants ; celui qui la viole met en péril la société. Le royaume de l’égoïsme est inévitablement aussi le royaume de la désunion. Celui qui, dans ses relations avec moi, fait profession de ne suivre que les maximes égoïstes de la concurrence vitale, ne saurait m’inspirer d’autres sentiments que le malfaiteur vulgaire : il n’en dif-