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fère, à mes yeux, que dans la proportion où ses actes démentent heureusement ses principes. La nature a soin d’ailleurs que ceux qui ont recours à la violence et a la ruse soient blessés par leurs propres armes. Il est triste, en revanche, que leurs vices corrompent d’ordinaire ceux mêmes qui les combattent. Dans la guerre de salut contre la bête humaine, c’est trop souvent la bête elle-même qui intervient. — Les violences de la bête sont toutefois et habituellement tempérées par des sentiments plus humains. « L’homme n’est pas naturellement plutôt hostile qu’indifférent ou sympathique à l’homme. » Les trois dispositions se rencontrent simultanément dans l’espèce ; et ce n’est que la prédominance de l’une d’elles qui conduit les observateurs superficiels à méconnaître la présence des deux autres. Nous avons déjà vu, dans notre analyse des éléments de la conscience, que bien des penchants calomniés, comme le ressentiment, l’envie, par exemple, sont des instincts salutaires à la conservation de l’individu et au progrès de la société. On les a injustement assimilés aux penchants décidément mauvais, qui se retrouvent chez les bêtes de proie, comme la rapacité, le besoin de la domination. Ne suffit-il pas d’ailleurs, pour réfuter le pessimisme psychologique dont nous parlons, de l’existence d’un sentiment, comme celui de la compassion ? Spinoza se trompe et fait injure à la nature humaine, lorsqu’il conseille de substituer aux mouvements spontanés de la pitié les calculs de la froide raison. Sans doute, il serait funeste d’exalter outre mesure et de soustraire à tout contrôle de l’entendement le penchant de la compassion. Plus que tout autre instinct, il subit l’influence de l’âge, de l’éducation. Rien ne contribue à l’émousser comme l’habitude de verser le sang ou l’excès des plaisirs vénériens. — « L’origine du mal a fait dépenser, en pure perte, bien des paroles à des philosophes, qui veulent se donner pour des prêtres de seconde classe. » Il n’y a rien de plus mystérieux dans le fait du mal moral, que dans l’instinct de la ruse propre au chat, ou celui du carnage chez la bête de proie. La nature humaine est très-complexe : elle comprend des instincts bons et des instincts mauvais ; et la prédominance des uns ou des autres décide de la diversité des caractères. Ce qui est mauvais moralement, c’est l’hostilité volontaire ou instinctive d’un individu contre un autre. Or « quelquefois, cela tient à un pur manque, à un défaut naturel de souplesse dans le jeu des désirs et des mouvements du cœur, et, en outre, à une incapacité involontaire de comprendre les mouvements de la sensibilité chez autrui. » Il peut même arriver que les penchants hostiles dont il s’agit soient antérieurs à la conscience et à la réflexion. Tel est le cas des bêtes de proie. Quant à l’association de l’entendement aux dispositions mauvaises du caractère, il n’y a pas plus à s’en étonner que de le voir mis au service des penchants bienveillants. On n’a pas plus raison de se préoccuper de l’origine métaphysique du mal que de celle du bien. — Le mal ne comporte pas de jugements absolus, en ce sens que, dans certains cas, comme dans celui de légitime défense, le mensonge, par