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consécration de la ruse heureuse et de la violence triomphante. — On ne peut ériger en puissance supérieure aux individus l’autorité soit d’un individu, soit de la majorité. Le droit ne repose que sur la décision et la sanction des volontés individuelles, et Un atomisme rationnel est aussi bien la vérité dans la politique que dans la physique. » À la place de la libre association des égaux (freie Gesellschaft), nous ne trouvons partout que la politique oppressive, — que l’État oppresseur (Gewaltstaat). Son premier soin est de supprimer les réunions politiques. À ce compte seulement, la minorité se sent assurée dans l’exercice de ses privilèges. La force du pouvoir absolu ou celle de la majorité tourne toujours au détriment de l’individu. Elle reste un mal, alors même qu’elle sert à la justice, « L’état oppressif n’a pu donner naissance à des organes et à des fonctions judiciaires qui ne portassent pas l’empreinte de son caprice et de sa violence, et ne fussent pas plutôt une organisation de l’injustice que du droit. » — La division des fonctions politiques ne peut se concilier que dans une mesure très-restreinte avec la liberté. Le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif doivent demeurer entre les mains de l’association. Ils ne seront confiés à des organes spéciaux et auxiliaires que sous le point de vue technique et que d’une façon partielle. — Cela est encore plus vrai du pouvoir militaire, « L’homme désarmé est, de fait, comme sans droits en regard de l’homme armé. » Une caste guerrière transformerait bien vite l’association la plus libre en un troupeau d’esclaves. « L’individu ne peut renoncer à ses armes sans sacrifier en même temps sa liberté. » Il faut que les chefs militaires soient choisis par l’élection populaire et nommés seulement pour un temps. L’éducation militaire doit être assez générale pour permettre un contrôle incessant de la masse sur les individus ainsi choisis. L’association militaire n’est qu’une des formes de l’association politique et ne saurait être considérée, avec cette dernière, que comme une extension de la capacité primordiale de l’individu à se protéger. De même que l’individu était forcé dans l’état primitif d’isolement à se montrer toujours prêt à la lutte, ainsi doit l’être l’association. D’ailleurs les progrès de l’art militaire font que la faiblesse des forces physiques n’empêche plus personne de le pratiquer. Ainsi se trouve prévenue la concentration des moyens de défense entre quelques mains. L’individu aura donc sa voix dans les questions de la guerre et de la paix. Mais il devra se soumettre aux nécessités de la défense commune, sous peine de rompre le pacte social et de se replacer dans l’isolement primitif d’où ce pacte avait eu pour objet de le tirer. — La connaissance et l’application du droit ne peuvent être une affaire d’érudition spéciale, sans que le droit de l’individu à exercer la fonction juridique ne se trouve gravement compromis. La science du droit ne s’incorporera donc pas dans la personne du juge comme dans une autorité supérieure. L’institution de jurés choisis arbitrairement dans les classes privilégiées ne satisfait pas davantage. Si on laisse de côté les cas exceptionnels ou compliqués, le bon sens et la culture