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ANALYSES. — Der Ursprung der Sprache.

Suivant les circonstances, ce besoin du langage se satisfait différemment ; voyez les sourds-muets qui ont appris le langage articulé : à peine sont-ils seuls entre eux, par exemple dans leur lieu de récréation, qu’ils abandonnent ce moyen artificiel pour employer le langage d’action, d’abord parce que celui-ci suffit à leur besoin naturel, ensuite parce qu’il leur est plus commode, les mouvements des bras et du corps étant visibles à une plus grande distance que les mouvements de la bouche. De même au singe suffit son langage d’action avec quelques cris d’appel énergiques. « Le langage n’est point d’ailleurs, dit Jäger, une simple fonction physiologique, mais il est essentiellement dépendant des facultés psychiques. Le fonds de mots dont dispose un individu est rigoureusement proportionné au développement multilatère de son esprit : voilà pourquoi les animaux se contentent de si peu pour leur conversation. » Pour mettre en lumière la distance du langage animal au langage humain, il faudrait donc auparavant comparer dans un chapitre exprès l’âme des bêtes et celle de l’homme. — À côté du besoin, le « talent ». Certains hommes, dit Jäger, sont absolument incapables d’apprendre à chanter, faute de talent musical et non pas d’intelligence ou d’organisation vocale. Ce même talent manque au singe, à la corneille. Par conséquent, un certain développement mental, le besoin pratique, une conformation anatomique spéciale des organes vocaux : tout cela ne suffit pas, sans ce que nous appelons le talent musical et onomatopéique. Donc « le langage humain apparut quand d’une espèce de singes anthropoïdes microcéphales usant simplement de sons sensationnels et du langage des gestes naquit le premier homme, qui se distingua de ses ancêtres physiquement par la macrocéphalie, mentalement par une plus haute intelligence, et par suite au point de vue du langage se signala, comme le corbeau comparé à la corneille, par un talent d’imitation phonétique dont son intelligence plus haute fit un moyen de communication avec ses semblables (p. 331). »

Voici maintenant l’échelle des catégories de signes dans leur ordre d’apparition, telle que le zoologiste peut la donner : I. Période des sons et des gestes sensationnels : cris d’appel amoureux, cris attachés à la vie familiale (tels que cris d’alarme, cris d’invitation à manger), enfin cris propres au groupe ou à la compagnie. — II. Période des gestes démonstratifs. Le sens de la distance, l’œil, ne suffisant plus, appelle à son secours pour désigner les choses absentes un organe dont les mouvements concordent avec les siens (ein synhinesisches Werhzeug). Cette période est représentée par les singes. — III. Période de l’imitation, emploi de signes graphiques et de signes vocaux, toujours en vue d’exprimer les objets absents. — IV. Période extrême de substitution des signes vocaux aux signes graphiques ; la cause occasionnelle de ce progrès capital est le besoin de se faire comprendre à propos d’objets absents même à une grande distance et de nuit. Par delà, il n’y a plus que l’époque d’évolution grammaticale. — Nous omettons à regret les remarques ingénieuses et délicates dont Jäger appuie cette