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analyses. — lilienfeld. Die Socialwissenchaft.

exceptionnels et de faits contradictoires, notant avec soin les cas de mort et de survie dans les maladies, ont vu dans l’application de la statistique une méthode nouvelle qu’ils ont décorée du nom de méthode numérique ; les autres, au contraire, expérimentateurs pour la plupart, attribuant l’exception à l’ignorance des vraies conditions, l’ont énergiquement repoussée au nom des principes mêmes de la science, au nom de ce que l’un de leurs plus grands représentants a appelé le déterminisme scientifique. L’auteur, faisant une distinction utile entre l’analyse d’un fait et sa constatation, la repousse quand il s’agit de constater, pour l’admettre quand il s’agit d’analyser. Quand Quételet, sur les traces de Malthus, trouve que la population tend à croître selon une progression géométrique, et que la résistance ou la somme des obstacles à son développement est, toutes choses égales d’ailleurs, comme le carré de la vitesse avec laquelle la population tend à croître[1], il ne constate pas dans quels cas la population tend à s’accroître, dans quels cas elle tend à diminuer ; il analyse les cas d’augmentation et de diminution et en formule la loi. La statistique ainsi entendue n’est plus la statistique de nos ignorances ; elle est une observation aussi précise et aussi rigoureuse que les observations astronomiques.

Mais nous sommes forcés de conclure par un reproche. Le troisième volume est intitulé : Psychophysique sociale, et cependant, s’il y est parlé d’ethnologie, d’économie politique, de zoologie, il n’y est pas fait mention de psychophysique. Les travaux de de Baer, de Bastiat, de Berthollet, de Buckle, de F. Papillon, de Strauss, de Zeller, etc., y sont cités ; mais les recherches des fondateurs de la psychophysique, les beaux travaux de Wundt, de Hirsch, de Jaager, de Mach sur le temps physiologique y sont enveloppés dans le silence le plus absolu. Cependant, il nous semble que si l’on veut conserver à la psychophysique la définition de « science des rapports de l’âme et du corps », qui lui est généralement donnée, la Psychophysique sociale sera un ensemble d’expériences destinées à vérifier d’une façon certaine chez tel ou tel individu l’existence de qualités psychophysiques spéciales, utiles ou nuisibles à la société ; qu’elle devra par exemple déterminer d’une façon non empirique les conditions de la pénétration et de la spontanéité nécessaires à l’exercice éclairé de tel droit, à l’existence de la responsabilité dans telles circonstances, etc. ; qu’en un mot, elle entraînera avec elle toutes les applications qu’elle pourra arracher aux préjugés politiques. Une pareille conception serait supérieure à la conception de l’auteur même si elle n’avait pas le mérite d’être conforme aux expressions consacrées ; mais, en supposant que la science actuelle fût capable d’en aborder la réalisation, elle dépasserait le cadre d’un ouvrage consacré bien moins à l’invention qu’à la vulgarisation de vérités empruntées trop souvent à des sources peu originales.

C. H.
  1. Physique sociale. Essai sur le développement des facultés de l’homme, 2 vol. in-8o, Bruxelles, Paris, Saint-Pétersbourg, 1869, 1er vol., p. 433.