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herbert spencer. — études de sociologie

rang élevé s’intitulent dieux ; par exemple les pâlâls, une sorte de prêtres chez les Todas, et quelques chefs chez les Nouveaux-Zélandais et les Fidjiens.

La signification originale et l’application du mot étant comprises nous ne devons pas être surpris de trouver « dieu » employé comme titre honorifique. Le roi de Loango est ainsi appelé par ses sujets ; Battel nous le dit, et Krapf répète la même chose à propos du roi de Msambara. Chez les Arabes nomades de nos jours le nom « dieu » est employé comme le nom générique du potentat vivant le plus puissant qu’ils connaissent. Nous croirons donc facilement les récits d’après lesquels le Grand Lama, adoré en personne par les Tartares, est appelé par eux « Dieu, le Père. » Ces récits sont d’accord avec d’autres faits ; ainsi les femmes qui chantent les louanges du roi de Madagascar, lui disent : « O notre Dieu ; » ainsi en parlant au roi des Dahomans on se sert de l’expression équivalente « Esprit », de sorte que lorsqu’il réclame la présence de quelqu’un le messager dit : « L’Esprit vous demande, » et quand il a parlé, tous s’écrient : « L’Esprit dit vrai. » Ces préliminaires étant posés, il ne nous paraîtra donc plus étrange que d’anciens rois d’Orient aient pris le nom de θεός.

L’emploi de ce nom honorifique dans les relations ordinaires est très-rare, mais il y en a des exemples. Après ce qui a été dit plus haut, nous ne serons plus étonnés en le voyant appliqué à des personnes mortes ; ainsi, d’après Motolinia, les anciens Mexicains « appelaient leurs morts : teotl tel et tel, c’est-à-dire tel ou tel dieu, tel ou tel saint. » À la lumière de cet exemple, nous comprendrons mieux l’emploi occasionnel du mot dieu comme salut entre les vivants. Le colonel Yule dit des Kasias : « Leur salutation, quand ils se rencontrent, est bizarre : Kublé I O Dieu ! »

Pour voir clairement la relation entre les titres « Dieu » et « Père », il faut remonter à ces premières formes de conception et de langage où ils ne présentent encore aucune différence. Même dans une langue aussi développée que le sanscrit, des mots qui signifient « faire », « fabriquer », « engendrer » ou « procréer » sont employés indifféremment pour exprimer la même idée, ce qui nous montre combien il est naturel que les hommes primitifs aient associé dans leurs discours et dans leurs pensées le père procréateur visible de nouveaux êtres pendant sa vie et procréateur invisible de nouveaux êtres après sa mort avec la généralité des producteurs morts et invisibles, dont quelques-uns, élevés à un rang supérieur, sont regardés comme les êtres qui produisent d’une manière générale les fabricateurs ou créateurs. Quand sir Rutherford Alcock