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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/128

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Dieu et esprit aient chez nous des significations bien différentes, à l’origine ils étaient synonymes, ou plutôt originairement il n’y avait qu’un seul mot pour désigner l’être surnaturel. Les preuves de cette assertion abondent : non-seulement les missionnaires n’ont pas trouvé de mot indigène désignant dieu qui ne signifiât également esprit, démon ou diable ; non-seulement les Grecs et les Romains désignaient les esprits de leurs parents morts par le même mot que leurs grandes divinités ; non-seulement les Égyptiens ont dans leurs inscriptions hiéroglyphiques « un déterminatif » signifiant, selon le contexte, dieu, ancêtre, personne auguste ; les Hébreux eux-mêmes appliquaient le mot elohim non-seulement à leur être surnaturel suprême, mais aussi à des esprits. En vérité, quand nous les voyons donner ce même nom à des personnes puissantes encore en vie, nous reconnaissons précisément que chez eux, comme chez les peuples primitifs en général, une supériorité d’un genre ou d’un autre est le seul attribut assigné aux elohim. Puisque, d’après les anciennes croyances, le double de l’homme mort peut être vu et touché tout comme l’homme vivant, de sorte qu’on peut le tuer, le noyer ou le faire mourir autrement une seconde fois ; puisque la ressemblance est si grande qu’il est difficile de savoir quelle est chez les Fidjiens la différence entre un dieu et un chef ; puisque les exemples de théophanie dans l’Iliade prouvent que le dieu grec pouvant être blessé par les armes des hommes, était sous tous les rapports si semblable à un être humain qu’il fallait un discernement particulier pour le distinguer, nous voyons combien on arrive naturellement à conférer à un être puissant visible ce titre de dieu donné à un être puissant généralement réputé invisible. On l’applique aux vivants dans la croyance qu’il peut être le double de quelque homme redouté ou bien en raison de sa supériorité naturelle. En réalité, cette théorie a pour conséquence nécessaire que les hommes supérieurs en mérite à ceux qui les entourent sont supposés être ces esprits ou dieux revenus auxquels on attribue ordinairement une puissance extraordinaire. Voilà pourquoi les Australiens, les Néo-Galédoniens, les habitants des îles Darnley, les Kroomen, le peuple de Calabar, les Mpongwe, etc., appellent les Européens esprits ; ils les considèrent comme les doubles des morts de leur propre nation. Voilà pourquoi on leur applique l’appellation correspondante dieux chez les Bushmen, les Béchuanas, les Africains de l’est, les Foulahs, les Khonds, les Fidjiens, les Dyaks, les anciens Mexicains, les Chibchas, etc. Voilà enfin la raison pour laquelle chez les peuplades non civilisées qui se servent de ce mot dans le sens indiqué plus haut, les hommes d’un