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nisme le besoin, et aussi l’usage. « Supposez, dit l’auteur du Rêve de d’Alembert, une longue suite de générations manchotes, supposez des efforts continus, et vous verrez les deux côtés de cette pincette s’étendre, s’étendre de plus en plus, se croiser sur le dos, revenir par devant, peut-être se digiter à leurs extrémités, et refaire des bras et des mains. La conformation originelle s’altère ou se perfectionne par la nécessité et les fonctions habituelles… Les organes produisent les besoins, et réciproquement les besoins produisent les organes[1]. » L’histoire des manchots qui se refont des bras n’est-elle pas exactement l’équivalent des conjectures de Lamarck sur les girafes ou les cygnes dont le cou s’allonge pour atteindre la nourriture, sur les escargots qui acquièrent des tentacules à force d’éprouver le besoin de palper les corps extérieurs, sur les vertébrés aquatiques qui possèdent des membranes interdigitales à raison de l’effort qu’ils ont fait en écartant les doigts pour nager ?

Il était nécessaire, au début de cette étude, de rappeler, au moins sommairement, les conceptions générales de Lamarck, pour être en état de comprendre l’usage qu’il en fait, lorsque, après la question de l’origine de la vie, il examine celle du développement des facultés sensibles et intellectuelles chez les animaux et chez l’homme. La troisième partie de la philosophie zoologique est tout entière consacrée à cette étude, sous ce titre : « Considérations sur les causes physiques du sentiment, celles qui constituent la force productrice des actions, enfin celles qui donnent lieu aux actes d’intelligence qui s’observent dans différents animaux. »

Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’importance que l’auteur attachait à cette partie de son œuvre. Ce n’est pas une simple ébauche qu’il nous donne, c’est un véritable traité de près de 300 pages. On s’aperçoit vite, et Lamarck ne s’en cache pas, qu’il tenait ici un sujet de prédilection, soit parce qu’il avait l’esprit philosophique, soit parce qu’il espérait avoir résolu la question délicate des causes de la sensibilité et de l’intelligence. « On pourra remarquer, dit-il, que je me suis plu particulièrement à l’exposition de la seconde partie (celle qui traite de l’origine de la vie) et surtout de la troisième, et qu’elles m’ont inspiré beaucoup d’intérêt[2]. » Avec une confiance que restreignent à peine quelques réserves de modestie, il croit à la justesse absolue de ses réflexions : « J’ai recherché quel pouvait être le mécanisme organique qui peut donner lieu à

  1. Diderot, édition Assézat, tome ii, p. 137, 138.
  2. Philosopihe zoologique, édition Martins, tome i, Avertissement, p. 18.