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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/15

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compayré. — la psychologie de lamarck

cet admirable phénomène du sentiment, et je crois l’avoir saisi[1]. »

À vrai dire, la théorie de Lamarck n’est pas de nature à nous causer la même satisfaction qu’à son auteur. « Tout y repose sur des hypothèses. » — « Tout y est le produit de l’imagination ; » ainsi s’exprime Lamarck lui même, au moins pour quelques parties de sa construction abstraite. De plus, tout s’y réduit à une explication mécanique, matérielle de l’âme. Mais en revanche elle possède des qualités qui lui mériteraient plus d’attention qu’elle n’en a obtenu jusqu’ici. Elle propose, par une simple divination du raisonnement, des vérités physiologiques, que les observations nouvelles confirment et vérifient. Elle renouvelle, elle dépasse le matérialisme de Cabanis, en y ajoutant le point de vue de l’évolution, et en recommandant la vraie méthode de la psychologie comparée : « C’est sans contredit une bien grande vérité que celle qu’a su prouver M. Cabanis, lorsqu’il a dit que le moral et le physique prennent leur source dans la même base… Mais, pour reconnaître plus aisément tout le fondement de cette grande vérité, il ne faut point se borner à en rechercher les preuves dans l’examen de l’organisation très-compliquée de l’homme et des animaux les plus parfaits : on l’obtiendra plus facilement encore en considérant les divers progrès de la composition et de l’organisation depuis les animaux les plus imparfaits jusqu’aux plus parfaits. Car alors ces progrès montreront successivement l’origine de chaque faculté animale, les causes et les développements de ces facultés[2]. » C’est toute la méthode du Darwinisme moderne. Sans doute il est permis de trouver que Lamarck n’y est guère fidèle, que l’examen promis de l’organisation des animaux et de sa complication progressive est à peine tenté. Mais cela ne supprime pas les mérites réels d’un penseur qui, soixante ans avant Darwin et ses disciples, a conçu, sinon pratiqué, la méthode qu’on exploite aujourd’hui avec tant d’habileté, avec une si grande richesse d’expériences et d’observations. Sur plusieurs points, en outre, Lamarck s’élève au-dessus du sensualisme superficiel que le xviiie siècle avait mis à la mode, et sa psychologie physiologique rétablit un certain nombre de vérités compromises ou niées par la psychologie pure de Condillac. Ajoutons enfin que les hypothèses matérialistes de Lamarck ont à nos yeux un autre avantage : c’est que, par leur faiblesse même, elles tendent à montrer l’insuffisance d’une théorie mécanique et physique des facultés morales, l’impossibilité de subordonner l’intérieur à l’extérieur et de se passer, pour rendre compte de la nature humaine,

  1. Philosophie zoologique, tome i, p. 6.
  2. Philosophie zoologique, tome i, p. 353.