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ribot. — théories allemandes sur l’espace tactile

auquel, à notre avis, on n’a pas assez fait attention, et plusieurs physiologistes ne paraissent même pas s’en être rendu compte clairement, quoique leurs habitudes d’esprit les aient bien guidés à leur insu.

On peut bien objecter que cela ne résout rien ; que ces termes longueur, distance, etc., etc., n’offrent un sens pour l’esprit qu’en vertu d’une notion préexistante de l’espace qui, seule, les rend intelligibles. Mais, même en acceptant cette objection, — ce que plusieurs de nos auteurs ont fait, — la position reste intacte. Les questions qui nous occupent ici portent sur des questions d’expérience, non sur des problèmes transcendants. Il s’agit de la genèse empirique de la notion d’espace ; c’est donc à l’expérience qu’il est juste de demander une solution.

Dès qu’on a substitué à l’étude de la notion abstraite de l’espace l’étude concrète de ses éléments, il devient possible de procéder analytiquement. Les adversaires les plus obstinés de la méthode physiologique ne peuvent guère nier qu’à cet égard elle ait été d’un grand secours. Les physiologistes, en effet, en s’appuyant sur leurs expériences, sur les données de la pathologie, sur des cas instructifs par leur rareté, ont pu étudier isolément le rôle de chacun des éléments de la perception tactile, séparer l’espace visuel de l’espace tactile, le tact proprement dit des sensations concomitantes, constater le rôle des mouvements musculaires, le rôle des sentiments d’innervation. C’est ce qu’il faut montrer avec quelque détail.

Lorsqu’on essaye de résoudre la question, qui nous occupe : « La notion de l’espace tactile résulte-t-elle d’un mécanisme ou est-elle innée ? » la première difficulté consiste d’abord à mettre à part ce qui est dû aux sensations visuelles. La vue et le toucher sont deux langues que nous employons simultanément, dès notre naissance, et qui se mêlent si bien qu’elles semblent n’en faire qu’une. De plus, les données de la vue, par leur supériorité et leur richesse d’information, ont une tendance à effacer les autres. Reste la ressource des aveugles-nés. S’il s’en était trouvé quelques-uns doués du talent de l’analyse psychologique, leurs déclarations nous en apprendraient beaucoup. Encore prêteraient-elles à des contre-sens de notre part, les termes ne pouvant avoir pour eux la même signification que pour nous. C’est ce qui rend si vague parfois l’observation de l’aveugle de Platner, dont nous parlerons plus loin. Mais plusieurs bonnes observations permettraient un examen critique. — L’étude

    direction. L’espace est l’ensemble des directions, comme le temps est l’ensemble des successions ; par conséquent, postuler la direction, c’est postuler non pas l’espace, mais l’élément dont la notion d’espace est formée. » (Examen de la philosophie de Harnilton, p. 293, trad. Cazelles.)