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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/18

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n’est qu’un effet : dès lors je suppose et me plais à admettre une cause première[1]. »

En revanche, si la théorie de Lamarck, comme toute théorie évolutionniste, ne répugne pas à l’idée d’un Dieu et s’accommode d’un large déisme, il est évident qu’elle rompt ouvertement avec le spiritualisme. Lamarck, comme pour se rassurer lui-même, a beau dire : « Il suffit de penser que l’homme est doué d’une âme immortelle, sans que l’on doive jamais s’occuper du siège et des limites de cette âme dans son corps individuel, ni de sa connexion avec les phénomènes de son organisation. » Ne semble-t-il pas entendre un politique qui dirait : Il suffit de penser qu’il y a un roi, sans qu’on ait jamais à se préoccuper de savoir où il réside, sans qu’il se mêle jamais des affaires de son royaume ? Ce politique serait-il un royaliste ? Sans doute Lamarck n’a rien du matérialiste dogmatique, qui nie ex professo toute existence spirituelle ; mais tous ses efforts n’en tendent pas moins à éliminer l’âme, comme une hypothèse inutile, à supprimer cet être « imaginaire et factice » qui est, dit-il, « un objet hors de la nature. » L’âme, à ses yeux, n’est qu’un moyen inventé par les philosophes pour lever les difficultés que l’analyse n’a pu encore résoudre. Ce qu’il y a d’inconnu, d’inexplicable ou d’inexpliqué dans les phénomènes de la nature humaine, c’est ce qu’on a appelé esprit. « C’est à peu près la même chose, ajoute-t-il, que ces catastrophes universelles, auxquelles on a recours pour répondre à certaines questions géologiques qui nous embarrassent, parce que les procédés de la nature, dans les mutations de tout genre qu’elle produit sans cesse, ne sont pas encore reconnus. » De même qu’il n’admet pas dans le monde extérieur ces coups de théâtre miraculeux qui en un moment changeraient la face du monde, de même Lamarck ne veut pas croire à la présence dans ce corps humain d’une âme indépendante, d’un principe mystérieux, dont l’action expliquerait les phénomènes. Des causes physiques et des effets physiques, il n’y a pas autre chose dans la nature animale ou humaine. C’est à des complications progressives du système nerveux que correspondent, à leurs divers degrés de développement, les facultés sensibles et intellectuelles. À un degré inférieur, le système nerveux, informe encore et rudimentaire, a seulement le pouvoir de provoquer l’action des muscles. Il acquiert ensuite la faculté de produire la sensation, et en troisième lieu celle de déterminer les émotions du sentiment intérieur. Enfin, parvenu à son plus haut degré de composition, il a pour fonction de former les idées, les jugements, la pensée, l’imagination, la mémoire.

  1. Phil. zool., tome i, p. 350.