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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/184

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nir les idées du beau, du laid, du joli, de l’agréable, du sublime ; du style, du comique, du tragique, etc. ? Nous demanderons-nous, à chaque pas, sous quelle étiquette ranger tel phénomène esthétique, à quelle place le classer dans le système de nos idées ? Non. En physique, à la vue d’un objet, la question qui se pose est celle-ci : Pourquoi se meut-il ainsi, et où faut-il qu’il se meuve ? nous en cherchons l’explication non pas dans l’idée même du mouvement ou dans la classification des divers modes de mouvement, mais dans les lois qui le régissent et les moyens propres à le diriger. De même, les questions qui s’imposent à l’esthéticien sont celles-ci : pourquoi telle chose me plaît-elle ou me déplaît-elle ? en quelle mesure a-t-elle le droit de me plaire ou de me déplaire ? — Un autre exemple. En thérapeutique, il m’importe avant tout de savoir en quoi les choses sont salutaires. Je ne m’aviserai pas de rechercher en vertu de quoi elles le sont ou quelle est la qualité générale qui les rend telles. Il me suffit d’établir les lois suivant lesquelles la guérison s’opère. De même, en esthétique, laissons aux rhéteurs le soin de disserter sur l’origine du beau (Dieu, imagination, inspiration…) ou sur sa nature (manifestation sensible de l’idée, perfection de la manifestation sensible, variété dans l’unité, harmonie organisée…). Pour nous, nous n’en examinerons que les effets (charme, plaisir), et nous demanderons simplement en quoi les choses sont belles, c’est-à-dire charment et plaisent ; en d’autres termes, nous nous attacherons à déterminer les conditions du beau, tirant nos explications du langage usuel, qui lui aussi ne prend nul souci de l’origine ou de la nature intime du beau et n’en considère que les effets.

Fechner ramène au plaisir l’esthétique et la morale et appelle de ses vœux la création d’une science uniquement préoccupée d’étudier les phénomènes et d’établir les lois du plaisir, science qu’il appellerait hédonique. L’homme, dit-il, tend universellement au plaisir et fuit la souffrance. Quand une chose lui procure un plaisir immédiat, il l’appelle, selon le degré d’intensité, agréable, charmante, jolie, belle. Quand une chose a le plaisir pour conséquence, il l’appelle utile, avantageuse, salutaire, bonne. Nous nommons donc beau dans sa signification la plus vaste ce qui nous procure un plaisir immédiat. Le langage usuel en est la confirmation. Je ne cite pas les exemples allemands. L’analogie est d’ailleurs plus frappante encore en français : Le beau est ce qui plaît ; or ce qui plaît, c’est ce qui fait plaisir. Plaisant a les deux sens : qui plaît et qui fait rire, et nous affirmons qu’une chose peut être belle au goût non moins qu’à la vue et qu’il y a aussi bien des âmes belles que de beaux corps, des idées belles que de belles statues. En un sens plus restreint et purement esthétique, nous disons qu’une chose est belle lorsque le plaisir immédiat qu’elle nous donne, quoique produit par des moyens sensibles, est plus élevé que la jouissance sensible. Mais on peut entendre le beau dans un sens plus restreint encore et moins subjectif. En effet, tout ce qui plaît ne doit pas plaire. Il y a des lois certaines d’après lesquelles on peut dire que tel objet