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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/207

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analyses. — hess. Dynamische Stofflehre.

oubliée par tous les auteurs de systèmes ? Nous l’ignorons ; mais nous avons peine à croire avec lui que l’état présent de la science comporte tant de rigueur dans une telle entreprise. Il n’est ni possible, ni d’ailleurs nécessaire de s’interdire les hardiesses dans une construction de cette ampleur : il suffit de rester fidèle à l’esprit des sciences et de respecter toutes les vérités acquises. Si l’auteur l’a fait scrupuleusement, c’est beaucoup ; mais j’ai peur qu’il n’y ait déjà dans cette cosmologie philosophique, sur laquelle tout le système devait reposer, quelques propositions et déductions auxquelles plus d’un astronome refuserait de souscrire. Lui-même n’avoue-t-il pas que l’astronomie physique (dont il ne peut se passer) est encore tout à fait dans l’enfance, n’étant née que tout récemment avec l’analyse spectrale ? Au reste, il se déclare pour le monisme, c’est-à-dire pour une théorie métaphysique, qu’il reconnaît devoir à Hegel et à Spinoza ; il est clair qu’en cela il dépasse infiniment la sphère des sciences positives et des vérités établies.

Il y a pourtant quelque chose qui lui est propre dans sa conception des rapports de la métaphysique et de la science. Il admet « l’identité des lois de la nature avec les lois de la pensée », c’est-à-dire l’axiome même de Spinoza : Ordo et connexio idearum, idem est ac ordo et connexio rerum ; mais il ne faut pas, dit-il, en conclure qu’on puisse, d’après l’ordre et la liaison logique des idées, connaître à priori l’ordre et la liaison des choses ou des faits. La critique kantienne a détruit cette prétention, et les successeurs de Kant ont eu tort d’oublier que les faits ne peuvent être connus que par l’expérience. Seulement les expériences accumulées, se coordonnant en un tout, s’organisant en système dans l’esprit, rendent possibles et naturelles des conclusions de ce qu’on sait à ce qu’on ignore encore. Mais ces conclusions sont inductives, et elles demeurent à l’état d’hypothèses jusqu’à ce que l’expérience les ait à leur tour confirmées. En réalité, Spinoza lui-même était arrivé par une induction de ce genre, fondée sur l’acquis scientifique de son temps, à sa conception synthétique de l’univers, à ce monisme « d’où procède toute la philosophie moderne. » Et ce n’est que par suite des vieilles habitudes métaphysiques, dont il n’était pas délivré, qu’il a présenté sous forme déductive et mathématique ce qu’en réalité il devait à la méthode inductive.

Cette méthode ne peut, selon M. Hess, que renvoyer dos à dos matérialistes et spiritualistes. Le matérialisme a plus de valeur scientifique, le spiritualisme plus de valeur morale ; mais l’erreur est la même des deux côtés : de part et d’autre, on réalise des abstractions, et l’on donne ces abstractions réalisées, la matière éternelle, l’âme distincte et immortelle, comme explication des phénomènes physiques et des faits de conscience. C’est un pur malentendu, car on n’explique rien de la sorte, « pas plus que l’on n’explique la vie en admettant que des germes vivants ont existé de toute éternité, même au temps où notre planète n’était qu’une masse fluide, d’une température nécessairement mortelle à tout organisme. » Matière éternelle, esprit impérissable,