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deux faces d’une seule réalité, l’envers et l’endroit d’une même étoffe. Ce qui est éternel, c’est l’univers, parce qu’il se reproduit et se rajeunit perpétuellement jusque dans ses moindres parties. « L’erreur du matérialisme est de confondre la reproduction, qui éternise la vie, avec la persistance dans l’être, qui éterniserait la mort. Rien n’est immortel, quant à la durée ; tout est immortel, en ce sens que tout se reproduit sans fin. Mais nous ne connaissons que ce qui dure, et la science a pour objet de rechercher les conditions d’existence des phénomènes. L’éternel n’est pas un phénomène, n’est subordonné à aucunes conditions ; ce n’est donc pas un objet de science, et il ne sert de rien de parler de cet « inconnaissable ».

Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des phénomènes fondamentaux, non pas éternels (ce serait une contradiction) ni inconditionnés (nul phénomène ne peut l’être), mais qui se retrouvent au fond de tous les autres. La pesanteur et la chaleur, voilà ces phénomènes fondamentaux.

Ce sont des manifestations du mouvement, distinctes, mais inséparables, base à la fois de la vie cosmique, de la vie organique et de la vie spirituelle. La pesanteur réunit, concentre et lie ce que la chaleur a écarté ; la chaleur dilate et sépare ce que la pesanteur a condensé et rassemblé. Pas de pesanteur sans chaleur, parce que cela seul peut être contracté, qui était auparavant dilaté : de même, pas de chaleur sans pesanteur. L’une est la prédominance du mouvement centripète, l’autre du mouvement centrifuge. Elles sont entre elles dans le rapport d’action à réaction. Mais c’est là précisément ce qui caractérise la vie et la conscience : « aussi la théorie mécanique des forces doit-elle être complétée par la théorie dynamique de la matière. » La conception matérialiste des choses est un dualisme contradictoire, posant d’un côté la force, incréée, indestructible, réelle et agissante, et de l’autre la matière ou les atomes, autre réalité également éternelle, sauf à déclarer ensuite ces deux réalités nécessairement unies et inconcevables séparément. Non, la matière n’est rien que la somme de ses propriétés, lesquelles ne sont que des phénomènes de mouvement. Tous les phénomènes, aussi bien les plus individuels comme ceux de la vie et de la conscience, que les plus généraux, comme la pesanteur et la chaleur, sont des mouvements par lesquels se manifeste la force vive partout répandue. « Tout centre de gravitation dans l’univers est un centre d’actions et de réactions à la fois. Or il y a de tels centres partout, non-seulement dans les corps, mais en tous les points de l’espace cosmique. Chaque point de l’espace, à chaque moment donné, est un tel centre, c’est-à-dire est un point vers lequel tendent de toutes parts des mouvements convergents et duquel des mouvements divergents partent dans toutes les directions. » L’univers, en un mot, n’est fait que de « forces vivantes ».

On reconnaît là une conception analogue à celle de Leibnitz : il semble que tout dynamisme doive nécessairement ressembler à la théorie des monades. Seulement Leibnitz admettait des monades en nombre litté-