Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
revue philosophique

plus forte raison serait-il injuste de relever les incertitudes de pensée, les défauts de précision ou même les contradictions qui se concentrent dans l’abrégé si court et si rapide que nous en avons. Ne pouvant plus attendre d’éclaircissements sur une doctrine dont l’ensemble n’est qu’esquissé à grands traits dans une préface et dont la mise en œuvre a été interrompue par la mort, il serait assez vain de la soumettre à une critique serrée. C’est aux physiciens à dire si la cosmologie de M. Hess, la seule partie du système qui soit achevée, ne contient rien que de conforme aux données de la science. Peut-être trouveront-ils quelque témérité dans certaines conséquences que l’auteur croit pouvoir tirer de son dynamisme, par exemple quand il semble voir dans la pesanteur seule une source de chaleur suffisante pour préserver à jamais le monde du refroidissement définitif qui amènerait la mort universelle. Sans doute, les molécules incandescentes de la matière solaire, à mesure qu’elles se refroidissent à la surface, doivent retomber vers le centre et, par leur chute même et leur choc, engendrer à nouveau de la chaleur ; mais cela peut-il durer sans fin, et n’y a-t-il pas, somme toute, une continuelle déperdition de calorique par le rayonnement ? M. Hess, qui n’admettait pas d’espace vide, qui mettait des forces partout, voyait sans doute dans la réaction de ces forces une garantie contre la perte sans retour de la chaleur solaire ; mais ce point de sa doctrine reste pour moi fort obscur, et je ne vois pas bien comment il conciliait avec sa théorie le refroidissement apparemment irrémédiable de la lune, et tant de faits qui donnent lieu de craindre le triomphe final de la force centripète sur la force centrifuge.

Mais je ne pourrais, avec une compétence suffisante, le suivre sur ce terrain. Je n’ai voulu que signaler aux lecteurs qui ont du goût pour les vastes synthèses de ce genre, cette nouvelle tentative de « philosophie scientifique. » Ils y trouveront, à côté des traits communs à tous les systèmes monistes et évolutionnistes, si fort en faveur aujourd’hui, des traits vraiment originaux. Ainsi l’auteur, quoique ardent partisan du progrès, se sépare nettement sur ce point des écoles dont il se rapproche le plus, quant au reste. Il ne croit ni à un progrès nécessaire, ni à un progrès infini. En fait, le progrès semble bien être le vœu de la nature et sa loi, puisqu’elle fait succéder à la vie purement cosmique, que le soleil nous présente dans toute son intensité, la vie organique sur les planètes refroidies, et plus tard la vie sociale. Cette vie sociale elle-même a ses progrès, et le plus grand de tous a été la révolution française, « qui a fait succéder une époque toute nouvelle aux âges paléontologiques de l’histoire. » Mais ce progrès réel n’est pas encore général, ne se continuera pas de lui-même et ne sera pas sans terme. — Il y a là des passages où l’auteur parle en homme qui admet, ou plutôt proclame et réclame, dans la « sphère sociale », l’intervention de la liberté : on regrette de n’avoir pas sur ce point un développement explicite de sa pensée. De même, ce qu’il laisse voir de sa façon d’envisager les rapports historiques des grandes civi-