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conscience de la sensation ; mais il s’élève avec raison au-dessus du sensualisme superficiel qui fait de la pensée abstraite le résultat d’une comparaison entre plusieurs impressions sensibles. Sans doute il ne croit pas aux idées innées, et déclare que la sensation précède toujours l’idée. Mais, si elle est l’antécédent, elle n’est pas la cause, ou du moins elle ne produit l’idée que lorsque « l’animal possède un organe nerveux particulier », et encore « lorsqu’il existe une condition que l’organe des sensations ne saurait offrir ». Nous verrons que cette condition n’est autre que l’attention.

Mais poursuivons l’exposé de la doctrine. Comment à ces sensations isolées, fugitives, qui par elles seules ne peuvent engendrer d’idées durables, succèdent les facultés plus hautes ? Entre la sensation et l’intelligence proprement dite, Lamarck a placé un ressort intermédiaire, qui joue un grand rôle dans son système et qu’il appelle le sentiment intérieur, les émotions intérieures.

Ces émotions intérieures ont leur source dans le sentiment d’existence, la conscience individuelle en d’autres termes. D’où dérive ce sentiment ? De la répétition, de la continuité des impressions obscures et confuses que déterminent les mouvements organiques ou vitaux : c’est comme une abstraction de toutes les sensations intérieures. Jusque-là, point de difficulté grave ; mais ce qu’il est malaisé de comprendre, c’est l’évolution singulière qui fait que ce sentiment intérieur, résidu de sensations passives, devient, on ne sait comment, le pivot de l’activité animale ou humaine, le principe et la source des mouvements et des actions, le moteur du fluide nerveux.

Voici en effet comment les choses se passent. Le sentiment intérieur peut être ému de diverses manières, soit par les sensations qui font naître des besoins physiques, soit par les idées ou les pensées qui donnent lieu à des émotions morales. C’est à la suite de ces excitations que le sentiment intérieur détermine les actions. Avec une complaisance qui trahit une âme élevée, Lamarck insiste sur les manifestations de la sensibilité morale : il montre qu’elle peut dominer les impressions physiques et altérer les fonctions de la vie. En homme persuadé de l’influence de la nature morale sur l’organisme, il ajoute : « Le sentiment moral exerce avec le temps sur l’état de l’organisation une influence encore plus grande que celle que le sentiment physique est capable d’y opérer. » À l’inverse de Cabanis, qui attribue à des altérations organiques, particulièrement à celles des viscères abdominaux, la persistance de la tristesse et de la mélancolie, il croit que les émotions morales sont elles-mêmes le principe de ces altérations. Il ne dissimule rien, on le voit, de l’énergie,