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compayré. — la psychologie de lamarck

de l’initiative, de l’activité qui est le propre de la force intérieure. On n’en est que plus étonné de constater que ce rôle est dévolu à un prétendu sentiment intérieur, qui n’est nullement la conscience d,’un principe indépendant, d’une force se saisissant elle-même, qui est simplement la résultante d’une série de sensations.

Il est vrai que Lamarck distingue avec force, dans l’ensemble des émotions intérieures, celles qui proviennent de la sensation et celles que provoque la pensée. Dans le premier cas, les actes du sentiment intérieur sont instinctifs ; dans le second cas seulement, ils sont volontaires. Si les causes et les résultats diffèrent, l’opération d’ailleurs est la même. D ans les deux cas, en effet, l’émotion du sentiment intérieur ébranle le fluide nerveux disponible et le dirige dans les parties du corps qui doivent agir. Il n’en est pas moins impossible de confondre l’instinct et la volonté. Tandis que l’instinct suppose seulement l’organe des sensations, la volonté n’appartient qu’aux êtres qui possèdent aussi l’organe de l’intelligence, c’est-à-dire « les deux hémisphères plissés qui couronnent le cerveau » et que Lamarck appelle l’hypocéphale. La volonté est toujours la suite d’un jugement, d’une idée, d’une comparaison, d’un choix intelligent. Vouloir, c’est se déterminer par la pensée. La conséquence, c’est qu’un grand nombre d’animaux n’ont pas de volonté. Lamarck ne l’accorde qu’aux oiseaux et aux mammifères, parce que ces animaux possèdent quelque intelligence. La faculté de vouloir n’exclut pas d’ailleurs la faculté de se déterminer par l’instinct. Chez l’homme même, que d’actions sont uniquement provoquées par la sensation, et aussitôt exécutées par la simple émotion du sentiment intérieur, sans la participation de la volonté !

Les vérités les plus solides se mêlent ainsi, dans l’argumentation de Lamarck, aux hypothèses les moins acceptables. Ce qui importe le plus dans cette théorie de la volonté et de l’instinct, c’est que, dans 1 es actions volontaires dont il est la source, le sentiment intérieur dépend pourtant d’un principe plus élevé, d’une faculté plus haute, de la pensée. Ici il semble que la loi de l’évolution soit éludée, ou oubliée. Un transformisme rigoureux exige en effet que l’antécédent soit toujours présenté comme la cause du conséquent. Or, dans la théorie de Lamarck, l’intelligence, loin d’apparaître comme une émanation, comme une transformation du sentiment intérieur, l’intelligence domine ce sentiment, détermine une partie de ses actes, de sorte que les facultés inférieures, loin d’être l’origine des facultés supérieures, sont au contraire comme suspendues à ces facultés et soumises à une condition qui les régit.

Si elle diffère de l’instinct par la participation de la pensée, la