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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/270

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eux ce sentiment de haine qui s’est associé de si près à leur image. Mais comme la haine ne sera plus précédée en pareils cas par cet autre sentiment de la faim, qui l’a engendrée, il est clair qu’après plusieurs répétitions du même état de choses, la haine sera en partie dissociée du sentiment de la faim. Il y a plus. Comme le sentiment de la haine avait toujours servi de motif à quelque lutte, où l’ennemi montrait de la résistance, et comme cette résistance devait naturellement rendre la haine plus concentrée, il se pourrait facilement que ce sentiment s’associât à l’idée de résistance en général. Alors l’animal ne pourra plus rencontrer d’obstacle à son activité sans éprouver de la haine pour l’objet qui en est la cause, et quand un arbre lui barrera le chemin, il éprouvera pour lui ce même sentiment qu’il n’éprouvait jadis que pour les objets de son appétit. De cette manière l’émotion que nous considérons, se dissociera petit à petit des idées qui lui ont servi de point de départ et s’unira à des idées d’un tout autre genre. Et si, par exemple, un animal qui s’était nourri de chair doit passer pendant plusieurs générations, sous l’influence d’un nouveau milieu, à une nourriture végative, de sorte que la faim n’aura plus besoin de se transformer en haine pour être assouvie, il se pourra que la dissociation entre ces deux émotions voisines devienne complète et que la haine soit associée pour toujours et par une disposition héréditaire à l’idée de résistance quelconque, excepté la lutte avec l’objet qui doit servir de nourriture. C’est ce qui nous explique, par exemple, pourquoi l’homme n’éprouve presque jamais de la haine pour l’animal qu’il tue à la chasse, et cependant devient si souvent la victime de ce sentiment dans différentes autres circonstances.

Presque toutes les émotions primitives dont nous avons parlé peuvent subir des transformations du même genre. Il n’y a qu’à citer la peur. Supposons que cette émotion ne soit éprouvée d’abord par l’animal qu’à la suite de quelque étouffement ou de quelque autre dommage dans les organes de la respiration. S’il arrive à quelque animal de tomber sous les griffes d’un autre plus robuste que lui qui fera des efforts pour l’étouffer, il éprouvera cette fois la peur pour des causes purement organiques. Mais s’il lui réussit à échapper pour le moment à la mort, il ne pourra plus rencontrer les représentants de l’espèce à laquelle appartenait son adversaire, sans éprouver le même sentiment, en tant qu’il s’est associé à l’image de celui-ci. Et ainsi, peu à peu, ce sentiment pourra se dissocier de l’idée de sa cause première, et s’unir, d’abord, à l’idée de tout être plus fort ou de tout danger qui menace la vie, puis même à l’idée d’un danger spécial qui n’a rien de commun avec son proto-