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grote. — classification nouvelle des sentiments

type et qui peut être même imaginaire, comme quand un homme qui ne craint ni le feu ni la mer, a peur des revenants. Mais ici il s’agit déjà plus que d’une association des sentiments avec les idées immédiates qui naissent des sensations, et nous trouvons le moment propice pour passer à la discussion de notre second problème, à savoir l’association des sentiments avec les idées, formées par le jugement et la réflexion.

Par les procédés que nous venons d’indiquer, l’individu arrive peu à peu à se former des idées plus ou moins claires : 1o des différents états d’énergie qu’il possède et des différents genres d’activité qui sont à sa portée ; 2o des différents changements dans son propre organisme et dans le milieu ambiant qui peuvent devenir autant de causes des différents modes de la sensibilité dont il est susceptible. Toutes ces idées sur les rapports variés des agents internes et externes de son activité, constituent ensemble son expérience directe. À mesure que cette première évolution de la conscience subjective s’accomplit, chaque nouvelle action réciproque de l’organisme et du milieu qui l’entoure vient à nécessiter un nombre plus ou moins grand de comparaisons, de jugements et d’autres constructions de. la pensée, qui modifient tellement le sens des rapports immédiats que les nouveaux états de la sensibilité qui en résultent ne traduisent plus simplement ces rapports actuels des forces et de leur dépense, dont l’organisme est l’objet, mais correspondent plutôt à des espèces de fictions sur ces mêmes rapports d’origine purement intellectuelle. Ces fictions s’adressent aussi bien à l’existence présente de l’organisme qu’à son passé et son avenir, et c’est de là que tirent leur origine ces sentiments multiples, auxquels on donne généralement le nom d’idéaux et dont le caractère a fait croire à tant de psychologues qu’il serait possible de classer tous les sentiments selon qu’ils se rapportent au temps présent, passé ou futur (voir surtout la théorie de Thomas Brown dans le IIIe volume de la Philosophy of the human Mind (19th éd.), où il propose la division de toutes les émotions en « immédiate, rétrospective and prospective ». Les sentiments idéaux sont très-nombreux, et ce sont eux qui constituent principalement la réceptivité subjective d’un être intelligent et développé.

Donnons-en quelques exemples. Le soupçon, l’anxiété et la superstition sont des modifications idéales de la peur. Le soupçon en tant que c’est l’espèce de peur attachée à un autre être vivant, qui a lieu lorsque nous croyons apercevoir, à tort ou à raison, dans la conduite de celui-ci les indices du désir de faire quelque tort à nous-mêmes ou à une autre personne qui nous intéresse ; l’anxiété, en tant que c’est aussi une espèce de peur, qui provient de ce que nous