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grande que ce qui peut être conçu ?[1] » Dans ce passage, M. Spencer paraît affirmer que l’absolu est plus grand que le relatif. Mais cela est incompréhensible, car une chose, quelle qu’elle soit, ne peut être grande que par relation, par comparaison avec une autre chose ; or l’absolu, pour être absolu, ne peut être mis en comparaison avec rien ; nous ne pouvons donc pas dire qu’il est grand.


II


Malgré ma profonde admiration pour le génie de M. Spencer, et bien que je tienne pour vraie une grande partie de son système de philosophie, je crois que la théorie de l’inconnaissable peut être soumise à des objections qui empêchent de l’accepter. Le point faible de cette théorie me paraît être la seconde partie du chapitre sur la relativité de la connaissance dans laquelle M. Spencer cherche à démontrer l’existence de l’absolu, de l’illimité, de l’infini. Examinons les arguments qu’il présente.

« Notons d’abord[1], dit-il, que tous les raisonnements par lesquels on démontre la relativité de la connaissance supposent distinctement l’existence positive de quelque chose au delà du relatif. Dire que nous ne pouvons connaître l’absolu, c’est affirmer implicitement qu’il y a un absolu. » — Il est facile de répondre que nier que l’absolu puisse être connu, ce n’est pas affirmer l’existence de l’absolu, ce n’est pas non plus la nier ; c’est constater seulement que, si l’absolu existe, nous ne pouvons le connaître.

« C’est en analysant notre conception de l’antithèse du relatif et de l’absolu, que nous trouverons peut-être le moyen de montrer que les conditions nécessaires de la pensée nous forcent de former une conscience positive, quoique vague, de ce qui dépasse la conscience.

« Personne ne met en doute que les antinomies de la pensée : le tout et la partie, l’égal et l’inégal, le singulier et le pluriel, ne soient nécessairement conçus comme corrélatifs ; la conception d’une partie est impossible sans la conception d’un tout ; il ne peut y avoir d’idée d’égalité sans une idée d’inégalité. Et l’on reconnaît que le relatif n’est lui-même conçu comme tel que par opposition au non-relatif ou absolu… cette affirmation que de ces deux termes contradictoires « le négatif n’est que la suppression de l’autre, n’est rien de plus que sa négation, » cette affirmation, dis-je, n’est pas vraie.

  1. a et b Toutes les citations d’H. Spencer sont empruntées à la traduction de M. Cazelles.