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compayré. — la psychologie de lamarck

des consciences. La nouvelle psychologie est au contraire avide et curieuse de ces renseignements qui déterminent étape par étape la marche de la pensée, et qui permettent d’établir, dans ses linéaments essentiels, la psychologie sinon de l’homme préhistorique, au moins de l’homme sauvage et des peuples primitifs.

Mais ce qu’on ne saurait méconnaître, et ce qui résulte de tout examen impartial des doctrines de l’évolution sous toutes leurs formes, c’est qu’elles n’ont pas d’autre conséquence que d’allonger la liste des faits. Elles étendent la psychologie descriptive, mais par elles-mêmes elles ne nous apprennent rien sur l’essence des phénomènes. Demander à l’hypothèse évolutionniste l’explication ultime des facultés morales, c’est croire que l’histoire peut remplacer la philosophie. Les transformistes nous diront qu’une idée complexe s’est faite avec des idées simples, qu’un instinct a succédé à un autre instinct, que les sentiments les plus délicats de l’homme civilisé ne sont que l’association lentement formée de sentiments plus humbles ou même de sensations inférieures, comme ces fleurs brillantes dont les pétales richement colorés ne sont, pour les botanistes, que des feuilles transformées ; ils soutiendront que l’amour, tel que le rêvait un Werther, tel que l’analyse un Stendhal, est un composé de sept à huit éléments distincts qui, aujourd’hui réunis dans une émotion complexe, ont à l’origine existé isolément, et tour à tour apparu chez nos ancêtres sauvages ; ils invoqueront des habitudes autrefois acquises et maintenues par l’hérédité pour expliquer soit la nature même, soit l’expression physique de la sensibilité ; en un mot, ils rattacheront à des faits antérieurs les faits actuels, ils en indiqueront les antécédents, ils en écriront l’histoire, l’histoire un peu fabuleuse : mais il est évident que, par cette méthode seule, ils ne sauraient en déterminer les causes.

Quel que soit en effet l’ordre historique suivi dans son développement par l’intelligence ou la sensibilité, au fond de leurs manifestations variables et de plus en plus compliquées subsistent des éléments permanents toujours les mêmes, d’un côté la conscience, de l’autre le plaisir. Considérons par exemple la sensibilité et le plaisir. L’évolution peut à la rigueur expliquer pourquoi, avec le progrès des âges, le plaisir dérive d’objets différents et rencontre de nouvelles occasions de se produire ; mais comment le plaisir en lui-même est possible, comment parmi tant de choses inertes il se trouve des êtres qui sentent, comment dans l’immensité de l’univers insensible il y a un coin du monde où l’on souffre, où l’on jouit, c’est ce que l’évolution n’explique pas, c’est un problème qu’elle n’entame point parce qu’il n’est pas de l’ordre des faits. À supposer même, ce qui