Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
357
carrau. — moralistes anglais contemporains

un homme que la nature aura formé pour exprimer en perfection les vertus douces et pacifiques : tout sera contre lui : forces de l’éducation, des mœurs, de l’opinion publique ; son action sera paralysée, le bien qu’il eût pu faire, presque étouffé dans son germe, et le concours de toutes ces influences antagonistes l’empêchera même de parvenir au degré de développement moral qu’il eût atteint dans des conditions plus heureuses. Au contraire, un tel milieu exaltera jusqu’à la plus haute puissance les qualités de celui que la nature aura prédisposé pour être un héros. On voit comment des circonstances différentes deviennent l’origine de types différents ; comment, par suite, une histoire de la morale est possible, et doit être nécessairement rattachée à l’histoire générale.

Mais dans la formation du caractère moral des individus, les circonstances extérieures ne sont pas tout, et il faut tenir compte aussi des dispositions innées. Sur ce point, la science ne peut encore que balbutier. Les lois qui expliquent ces mystérieux phénomènes, nous sont jusqu’ici profondément inconnues. Il est permis d’espérer que les progrès de la médecine soulèveront, au moins en partie, le voile qui les dérobe à nos yeux. Elle seule peut jeter quelque lumière sur le problème des rapports qui existent entre notre nature physique et notre nature morale. « Celui qui élèvera la pathologie morale au rang de science, en étendant et systématisant nombre d’observations éparses qui ont déjà été faites, prendra probablement place parmi les maîtres de la pensée humaine. Les jeûnes et les saignées que s’infligeaient les moines du moyen-âge, les drogues propres à calmer ou à stimuler les passions sensuelles, le traitement des maladies nerveuses, l’influence de la folie et de la castration sur le moral, les recherches de la phrénologie, les changements moraux qui accompagnent les phases successives du développement physique, les cas de maladies qui ont altéré, et quelquefois d’une manière permanente, la complexion entière du caractère, et, par l’intermédiaire du caractère, ont modifié tous les jugements de l’esprit, voilà quelques exemples du genre de faits dont une telle science aurait à s’occuper. L’âme et le corps sont si étroitement unis, que ceux-là mêmes qui protestent avec le plus d’énergie contre le matérialisme, admettent pleinement l’action continuelle et réciproque de ces deux substances. L’émotion soudaine qui précipite le mouvement du pouls, fait pâlir ou rougir la joue, les prédispositions plus grandes aux maladies épidémiques chez ceux que domine la crainte de ces maladies, sont des exemples familiers de l’action de l’âme sur le corps, et l’action plus puissante et plus constante encore du physique sur le moral, est prouvée par des observations innombrables.