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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/383

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séailles. — philosophes contemporains

tout autre ordre, harmonie totale en laquelle résonnent à l’unisson toutes les harmonies particulières, comme en une symphonie dont on entendrait à la fois, par une immédiate intuition, toutes les notes vibrer en accord.

Nous sommes arrivés à une conception qui satisfait pleinement l’esprit. Le monde est un drame bien fait dont tous les épisodes se tiennent et s’appellent, chacun gardant sa valeur propre. Platon avait tort de supprimer l’indépendance des individus, les renfermant dans des espèces, puis celles-ci dans des genres, puis les genres dans un genre universel : le monde est assez vaste pour que toutes les formes s’y étalent et s’y déploient librement. Tout être a sa raison suffisante dans le bien relatif qu’il réalise, et l’unité n’est pas un mélange, une confusion, mais une harmonie. Tout est lié, tout est entraîné dans l’ascension de la nature, qui s’élève vers l’acte le plus achevé : telle est la loi de continuité ; mais à cette loi il faut ajouter le principe des indiscernables qui la complète : l’individu existe pour lui-même en même temps que pour les autres, et ainsi, chaque être ayant sa valeur propre, son existence indépendante, tout en servant à l’apparition d’une réalité supérieure, se trouve unie à la plus grande richesse de formes la plus parfaite unité.

Le monde est un, mais la métaphysique semble plus que jamais éloignée de la science. Si le mécanisme est subordonné à la finalité, il est logique de reprendre les traditions du moyen âge et d’imposer au savant la recherche des causes finales. Les grands mathématiciens, qui ont été les grands philosophes, ne l’ont pas entendu ainsi. Pour eux, le monde est un traité de mécanique, et c’est la foi dans le développement inflexible des théorèmes qui leur a donné le courage de le déchiffrer. Platon prend pour éléments quelques idées simples et s’efforce de construire par leurs combinaisons les choses dans leur diversité ; Descartes espère trouver la géométrie analytique du monde entier, les formules algébriques de tous les êtres ; enfin l’inventeur du calcul infinitésimal ne rêvait-il pas lui aussi une mathématique universelle, qui s’imposerait à tous les esprits en s’exprimant dans une langue définitive ? À la suite de ces grands penseurs, la science contemporaine s’efforce de tout résoudre en éléments rationnels et de ramener les formes les plus hautes de l’existence à des complications de mouvements. Ou le monde n’existe pas pour l’esprit, ou il est un problème compliqué, mais mathématiquement résoluble. Prétend-on remplacer ces conceptions du génie par les rêveries ingénieuses « des causes-finaliers » ? faire commencer la philosophie à Bernardin de Saint-Pierre ?

La lâche que s’est proposée M. Ravaisson, c’est précisément de