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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/384

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répondre à cette objection. Quand la philosophie française, découragée par les progrès de la science, qu’elle regardait comme une invincible ennemie, se retirait dans la psychologie, où la science allait bientôt la poursuivre, M. Ravaisson, convaincu de l’impossibilité d’isoler l’âme du reste du monde et par suite de séparer la philosophie des études positives, s’est efforcé d’embrasser dans un même système le mécanisme et la finalité, c’est-à-dire de réconcilier la métaphysique et la science. Il l’admet avec les savants, l’entendement n’est satisfait que quand il a ramené les qualités à des quantités, que quand il a fait du monde un traité de mathématiques, dont il poursuit les théorèmes par une marche ininterrompue. Pour qu’il y ait science d’une réalité, il faut que tout en elle puisse se représenter sous forme de mouvements, dont les directions et les rapports soient explicables par les lois simples de la mécanique rationnelle. Mais, avant de déclarer que la métaphysique est l’ennemie née de la science, ne faudrait-il pas se demander s’il y a lieu d’admettre ce que l’on reconnaît comme une proposition évidente : l’antinomie du mécanisme et de la finalité ? Que le mécanisme soit nécessaire à l’entendement, M. Ravaisson l’accorde ; sur ce point, pas de discussion. Mais si la finalité pouvait seule rendre raison du mécanisme qui, en dehors d’elle, nous resterait inintelligible, ne pourrait-on pas dire que la science travaille pour la philosophie, et que chaque nouvelle preuve à l’appui du mécanisme ajoute un argument à la démonstration de la finalité. La science est-elle compromise par cette alliance ? En suivant logiquement le mécanisme, elle arrivait à une contradiction : le moins produisait le plus, l’inférieur le supérieur. Partie de la considération des seules quantités, elle en venait ainsi à nier le principe d’identité, c’est-à-dire à démontrer elle-même que tout n’était pas quantité ou tout au moins qu’il n’y avait pas là de quoi rendre raison des existences. On objectera que l’expérience, comme le disait Aristote, est au-dessus de tous les raisonnements ; que nous voyons sans cesse le supérieur sortir de l’inférieur, et que cette naissance est la loi même du progrès du monde. Faire naître le plus du moins est une contradiction ; or l’étude de ce qui est n’exige pas que l’esprit renonce à lui-même. Ce que nous constatons, c’est seulement que l’existence inférieure est la condition et la matière de l’existence supérieure. Les lois du mécanisme s’accorderaient complètement avec les lois de l’esprit, si l’on admettait que l’avenir est le but vers lequel marche le présent, et que le supérieur marque la direction dans laquelle l’univers est lancé. Le moins est une étape vers le plus, un moment du progrès vers le mieux. Fonder la science du monde sur le mécanisme pur, c’est donc, suivant M. Ravaisson, l’établir sur