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âme, dont le désir d’une perfection relative constitue tout l’être, c’est que tout ce qui est est quelque chose de Dieu et participe de sa nature ; si les mouvements du corps expriment les volontés de l’âme, si l’intérieur se fait le docile instrument du supérieur, si l’univers devient ainsi un être unique, dont les organes multiples répondent à l’appel d’une seule et même pensée, c’est qu’en tout au souvenir de ce qui fut s’allume le désir de ce qui doit être ; si le fond de toute âme, le principe de toute énergie, est l’amour mystérieux, qui doit posséder déjà ce qu’il cherche, c’est que le fond de l’être est la beauté, parce que le fond de l’être est Dieu, mais la beauté relative qui se souvient d’avoir été la beauté absolue et s’efforce de l’exprimer encore, mais Dieu atténué, diminué, qui veut se retrouver et remonter à sa splendeur première.

VI


L’homme est compris dans le monde, et les principes des choses ne sont universels qu’à la condition de s’étendre. à sa nature morale. Pythagore et Platon n’ont qu’une loi pour le gouvernement des individus, des cités et des cieux. Le clinamen du monde épicurien devient en nous la liberté. Le stoïcien n’est qu’un élément et ne doit être qu’une image en raccourci du grand tout sympathique à lui-même. Spinoza commence l’Éthique par la théorie de la substance. Toute philosophie est une morale ; toute conception de l’univers est une conception de l’homme et de ses destinées. Pour M. Ravaisson, le monde vient de Dieu, retourne à Dieu ; il est quelque chose de Dieu ; il est un être dont les éléments multiples se heurtent, s’entrechoquent : c’est le mal, c’est la guerre, mais dont l’âme d’abord hésitante de plus en plus se révèle à elle-même dans sa loi d’harmonie, de plus en plus coordonne ses forces diverses et s’efforce de mettre fin aux discordes intestines qui la troublent et la déchirent. L’homme est un être, il est aussi quelque chose de l’être, c’est en lui que l’esprit universel prend la plus claire conscience de sa nature et de ses destinées ; c’est à lui qu’il appartient de donner l’exemple, démarquer la route, et dans le présent de faire pressentir l’avenir, en créant en lui et autour de lui, dans son âme et dans la société, cette harmonie, qui est la loi et la fin des choses. L’homme peut défaillir à sa tâche ; il peut retourner en arrière, au point de départ de la nature, au désordre, à la confusion ; il peut réduire ainsi l’esprit même à la matière, ce principe de toute beauté à je ne sais quel chaos de forces en lutte, se perdant dans toutes les directions. C’est l’état de l’âme livrée à l’égoïsme. Elle ne domine plus, elle est dominée ; elle cède