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séailles. — philosophes contemporains

sorte de matière indépendante, qui se prête à l’action divine, comme le marbre docile à la main du statuaire. Tous nos efforts ne peuvent-ils donc aboutir qu’au dualisme ? Si l’œuvre du poète est une juste image du monde, peut être son génie est-il aussi comme le symbole de l’activité créatrice de Dieu ? Le génie, s’il faut l’en croire, garde de ses créations le sentiment d’une mort relative ; c’est qu’en effet engendrer, c’est mourir, pour revivre en une œuvre différente de soi ; c’est se sacrifier, s’anéantir partiellement, faire un être avec sa vie. Dans la génération inférieure des corps par les corps, la plante et l’animal voient souvent leur existence tout entière s’évanouir, et l’homme même retombe comme affaissé sur lui-même. Créer, c’est donc mourir : cette loi de la terre est la loi suprême qui nous donne enfin l’unité absolue que nous cherchons. Nous sommes les fils de l’amour et par suite de la mort de Dieu. Le monde est le produit du suicide partiel d’un être éternel. Cette mort volontaire de la divinité, c’est la vie de la nature, dont le progrès est le lent réveil de la pensée divine. « On ne saurait comprendre l’origine d’une existence inférieure à l’existence absolue, sinon comme le résultat d’une détermination volontaire, par laquelle cette haute existence a d’elle-même modéré, amorti, éteint, pour ainsi dire, quelque chose de sa toute-puissante activité… Dieu a tout fait de rien, du néant, de ce néant relatif qui est le possible ; c’est que ce néant, il en a été d’abord l’auteur, comme il l’était de l’être. De ce qu’il a annulé en quelque sorte et anéanti de la plénitude infinie de son être (sese ipsum exinanivit), il a tiré par une sorte de réveil et de résurrection tout ce qui existe. » Ainsi on peut atteindre l’unité absolue, en maintenant l’existence des êtres individuels, affirmer avec les panthéistes que tout est Dieu, sans nier sa personnalité distincte et sans confondre l’idéal avec la réalité.

Toutes les vérités antécédentes s’unissent en cette vérité suprême, comme des rayons en un foyer unique : l’esprit est à la source de toute lumière. C’est l’unité de l’essence dans la réalité qui fait l’unité de la pensée dans nos intelligences. « Dieu sert à entendre l’âme, qui sert à entendre la nature. » Si, par l’examen de nous-mêmes, nous découvrons dans les lois de notre activité les lois des choses, c’est que nous ne sommes pas seulement un être individuel, mais aussi l’être divin, qui s’éveille à la connaissance réfléchie de sa propre essence ; si à tous les degrés de l’existence, dans la puissance volontaire de l’homme comme dans les mouvements instinctifs de l’animal, dans les sensations obscures et dans les frémissements de la plante sur sa tige, comme dans l’entêtement du minéral à répéter toujours la même pensée, nous avons saisi la présence d’une