Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
revue philosophique

et accablé par une détresse intérieure. Je pouvais sentir toutes les cellules à air qui luttaient avec des spasmes contre une pression terrible. Dans cette lutte, elles semblaient se séparer violemment dans toutes les directions, et j’éprouvais partout des torsions terribles ; en même temps l’ennemi commun, sous la forme de cette pression de fer, se maintint avec une force de plus en plus irrésistible dans chaque coin et crevasse de la scène.

Voici à peu près ce dont j’avais alors conscience : je percevais uniquement une scène isolée de torture où régnaient un sentiment de terreur inconnu jusque-là et ce que j’ai entendu nommer depuis « unité de la conscience » ; celle-ci resta sur la scène jusqu’au moment même où les pulsations du cœur devinrent imperceptibles. Je dis « scène », parce que je reconnaissais différentes parties de mon corps et que je sentais une dissemblance entre la douleur éprouvée par l’une des parties et celle éprouvée par l’autre. Les convulsions dans les poumons augmentaient d’intensité, et en même temps un bruit s’éleva. Un mugissement confus éclata dans mon cerveau, des tambours innombrables commencèrent à battre au fond de mon oreille, jusqu’à ce que la confusion se changea en battements terribles ; chaque battement me blessait comme une massue tombant à coups répétés sur le même endroit…

À partir de ce moment, mes poumons me laissèrent en repos, et j’ignore comment la lutte finit. Je sentais avec un soulagement relatif qu’en tout cas une force avait triomphé et que les déchirements avaient cessé. La grande et étrange frayeur qui s’était complètement emparée de moi, quand je me sentis suffoquer, avait également disparu. Il ne restait que les battements violents dans les oreilles et les pulsations précipitées du cœur. Les battements peu à peu devinrent moins douloureux et moins bruyants ; je me souviens d’avoir reconnu avec satisfaction qu’un des désordres les plus pénibles avait cessé. Mais, tandis que le tonnerre s’assourdissait ainsi dans l’oreille, mon cœur éclata tout à coup avec violence ; cette sensation fut plus forte que toutes les précédentes. Il y avait là le choc d’une machine chauffée à toute vapeur et comme un globe de feu qui sautait de place en place avec une vitesse croissante et qui me frappait avec une force surhumaine ; à chaque instant, je sentais le fer pénétrer dans mon âme ; c’en était fait de moi. Ce moi n’était rien de plus que ce cœur enflammé et l’espace clos dans lequel il portait ses coups ; le reste du moi hors de ce foyer ne m’était plus sensible. Chaque coup causait une douleur infinie à la chair contre laquelle il frappait et qu’il venait brûler ; il y avait la radiation d’un lingot en fusion dans le creuset. Ensuite cette chaleur insupportable