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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/426

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doctrine peut paraître surprenante, et, en effet, on aurait grand tort de l’appliquer telle quelle à un sujet déjà formé par l’expérience ; mais souvenons-nous que la pensée, comme tout autre mode de l’activité psychologique, tire son origine du mouvement musculaire ; or, qu’est-ce que ce mouvement, sinon l’acte par lequel la volonté cherche instinctivement à satisfaire un besoin éveillé par une sensation ? C’est dans le rapport qui existe entre notre volition et le mouvement subséquent que réside (comme l’a vu Maine de Biran) le germe de l’idée de causalité ; rien de plus naturel, par suite, que de voir dans le domaine de la pensée le problème de causalité se présenter au commencement sous la forme rudimentaire : Que faire ? et non sous la forme dérivée : Quelle est la cause de ceci ?

Tels les problèmes élémentaires de la pensée ; voyons comment nous procédons pour les résoudre. Ici, la marche de la pensée théorique se confond d’abord avec les procédés automatiques du mouvement instinctif. Un objet extérieur fait impression sur le système nerveux ; une excitation se produit et rayonne dans tous les rameaux du système, jusqu’à ce qu’elle rencontre un nerf dont la mise en mouvement ait pour effet de nous soulager. Que la même série de faits se reproduise un grand nombre de fois ; le souvenir aidant, la solution du problème nous deviendra de plus en plus facile et familière ; au tâtonnement organique se substituera l’effort éclairé de la réflexion, et ce processus instinctif aboutira finalement à la forme primitive de tout raisonnement : « J’ai déjà éprouvé cette sensation ; je me suis alors soulagé par tel mouvement ; donc c’est ce mouvement qu’il faut faire. » Dans cette association si simple, on trouve donc en germe : 1o le raisonnement, inductif d’abord, déductif par la suite ; 2o le jugement, c’est-à-dire la reconnaissance de l’identité (ou similitude) d’une sensation passée et d’une sensation présente ; 3o la conception (Begriff) ou compréhension du multiple commun dans l’ « unité » (die Zusammenfassung des Mehreren Gemeinsamen in eine Einheit).

Pour résumer ce qui précède, nous dirons avec M. Horwicz que les problèmes de la pensée naissent du sentiment, c’est-à-dire de la causalité, et trouvent leur solution dans une idée d’unité en passant par la voie de comparaison ou d’identité. Il est vrai que la fixation des résultats acquis par l’expérience ne s’achève que par le langage, dont les progrès marchent de pair avec ceux de la pensée et qui lui prête et lui emprunte à la fois ; mais, en laissant de côté cette considération, on voit que si la causalité fournit la matière de la pensée, l’identité en fournit la forme, qu’elles sont inséparables, qu’elles présentent entre elles les relations les plus intimes, qu’elles se supposent réciproquement. Déjà Wolf et Reimarus n’ont-ils pas tenté de ramener l’un à l’autre les principes de contradiction et de raison suffisante ? Enfin, de ce point de vue, la vieille querelle de l’apriorité trouve facilement sa solution : les sensualistes qui dérivent toutes nos connaissances de l’expérience et les rationalistes qui invoquent des principes à priori