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probabilité est plus petite qu’une fraction dont le numérateur est l’unité et dont le dénominateur est le nombre 126 suivi de 28 zéros.

Cette probabilité est tellement petite qu’on peut pratiquement la considérer comme nulle, ce qui revient à dire que nous avons le choix entre deux hypothèses dont l’une implique un fait physiquement impossible. L’autre se trouve donc démontrée par une sorte de reductio ad absurdum.

Ainsi, par un artifice de raisonnement fondé sur le théorème de Bernouilli, nous pouvons passer du cas où nous pouvons évaluer le nombre des événements favorables et le nombre des événements possibles au cas beaucoup plus fréquent où une telle évaluation n’est pas possible. C’est ce que les mathématiciens appellent le passage du cas de la probabilité a priori au cas de la probabilité a posteriori. Mais nous pouvons aller encore un peu plus loin[1].

L’expérience démontre que le nombre des naissances masculines est en général au nombre des naissances féminines comme 106 est à 100. Nous pouvons, en appliquant le théorème de Bernouilli, conclure que la probabilité qu’une naissance à venir soit masculine est , tandis que la probabilité que cette même naissance sera féminine est seulement . L’avantage de cette représentation de la chance est de nous permettre de comparer entre eux avec une complète exactitude des cas fort différents les uns des autres. Nous pouvons de la sorte nous former rapidement une opinion précise sur des cas nouveaux en les identifiant à de certains cas habituels et bien connus.

Nous sommes maintenant en présence de deux théories : la première, celle de M. Venn entièrement fondée sur l’expérience ; la seconde, celle des mathématiciens, entièrement à priori. Nous devons examiner la comparaison qu’en fait M. Venn lui-même avec une sagacité, une impartialité, un libéralisme philosophique vraiment extraordinaires.

Il faut d’abord observer que pratiquement la méthode expérimentale est sans emploi. Pour savoir quelle est la chance d’amener face 10 fois de suite, personne n’a jamais imaginé de jeter en l’air un penny cinq ou six millions de fois pour examiner ensuite la proportion du nombre des événements constatés par l’observation. Si je veux savoir quelle est la chance pour qu’un joueur de whist ait à lui seul 10 atouts, je ne prendrai certes pas un jeu de cartes pour en faire un nombre énorme de distributions et trancher la question

  1. V. Cournot, Exposition de la théorie des chances et des probabilités, c. VIII.