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charpentier. — la logique du hasard

par expérience. Quand tous les habitants de la terre s’entendraient pour faire l’expérience en question, il leur faudrait plusieurs années de travail avant d’arriver à une conclusion certaine. Les questions de ce genre se sont toujours traitées et se traiteront toujours algébriquement. La méthode mathématique a donc tout l’avantage ? Nullement. La méthode mathématique prise comme une méthode a priori pourrait bien n’être au fond qu’une simple pétition de principe. Il suffit pour le faire voir d’une remarque très-simple.

Toute la démonstration de Bernouilli repose sur un principe : Au jeu de pile ou face, par exemple, il y a 2 événements possibles et également possibles. Ou cette expression n’a pas de sens ou bien elle signifie que dans une longue série d’épreuves pile et face tourneront aussi souvent l’une que l’autre. Mais n’est-ce pas là précisément ce que le théorème de Bernouilli a pour objet de démontrer ? Les mathématiciens ont souvent avancé que leur principe est une application du principe de la raison suffisante. Il n’y a pas de raison pour que pile tourne plus souvent que face, donc pile tournera aussi souvent que face. Mais ne sommes-nous pas dans l’ignorance des causes qui amènent chaque événement ? Comment pouvons-nous savoir qu’il n’y a pas de raison pour qu’un événement d’une espèce soit plus fréquent que l’événement contraire. C’est surtout quand on veut faire application du théorème de Bernouilli en dehors des jeux de hasard à des phénomènes d’ordre purement naturel que les inconvénients se multiplient. Il en est de la loi de Bernouilli comme de toutes les lois purement numériques. Mathématiquement leurs applications sont sans limites, mais tout le monde sait qu’en physique une loi numérique en dehors de certaines limites devient une pure illusion. La loi de Mariette est très-vraie ; personne n’en doute. Mais quel est le physicien qui calculerait d’après la loi de Mariette le volume d’un décimètre cube d’hydrogène soumis à la pression de 100 atmosphères ? Ainsi la méthode expérimentale semble regagner au point de vue des principes tout ce qu’elle a perdu au point de vue des applications pratiques.

Je crois qu’il est difficile de contester dans son ensemble et même dans la plupart de ses détails la critique de M. Venn. Je voudrais seulement présenter quelques considérations d’abord sur l’application du principe de la raison suffisante, ensuite sur la nature du calcul des probabilités considéré comme science mathématique.

La critique de l’usage que font les mathématiciens du principe de la raison suffisante est devenue pour les partisans de la méthode expérimentale une sorte de lieu commun. La plupart des développements qu’on en a faits se réfèrent à un passage bien connu du Sys-