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éternel au regard des générations d’éphémères qui s’écoulent à ses pieds. Si nous pouvions faire comparaître devant notre regard l’infinité des temps passés et à venir, nous verrions peut-être dans les corps sidéraux quelque chose d’analogue à ces répétitions de formes que nous offre la série des générations animales ; et si, à un même moment, nous pouvions embrasser le nombre infini des mondes célestes, peut-être apercevrions-nous les Eons de Lucrèce, c’est-à-dire les différents états et pour ainsi dire les différents âges de ces êtres en évolution, qui naissent, subsistent silencieusement dans l’espace infini et persistent ensuite. La tendance de l’être organisé sorti d’un germe à l’acquisition d’une forme typique, à l’achèvement d’une sorte de plan architectural, dont il poursuit la réalisation contre les difficultés et les obstacles qui la traversent, cicatrisant ses blessures, réparant ses mutilations, cette tendance est, aux yeux du naturaliste philosophe, un nouveau caractère de l’être vivant, le plus frappant peut-être, celui qui montre le mieux son unité, son individualité. Mais n’y a-t-il rien de pareil dans les corps minéraux ? Les phénomènes de cristallisation ne sont-ils pas une manière d’acquisition de forme spécifique ? Les cristaux nous montrent même une certaine aptitude à réparer les mutilations qu’ils ont subies : un travail plus actif a lieu sur la partie blessée ou déformée, ainsi que l’a signalé M. Pasteur, et le dépôt de particules cristallines satisfait non-seulement à la régularité du travail général sur toutes les parties du cristal, mais au rétablissement de la régularité dans la partie mutilée. À la vérité, M. Chauffard fait observer que le type cristallin ne relève aucunement d’autres types préexistants, et que rien dans la cristallisation ne rappelle l’action des ascendants et les lois de l’héritage. Mais cette lacune entre le corps vivant et le cristal n’est-elle pas comblée par l’observation de M. Gernez ? Voici une solution sursaturée de sulfate de soude ; si l’on y introduit un cristal déjà formé, la cristallisation se produira dans toute la masse, et le type cristallin ajouté à l’eau-mère deviendra le générateur d’un nombre immense de types pareils.

Quel but poursuivons-nous, en insistant après Cl. Bernard sur les faits de ce genre ? Voulons-nous en tirer conclusion et transformer ces lointaines analogies des corps bruts et des corps vivants en une assimilation positive et entière ? Telle n’est point notre pensée. Nous voulons seulement enseigner à d’autres la prudence que nous nous imposons à nous-même. Nous voulons établir que la distinction absolue des règnes organique et inorganique n’est qu’une hypothèse aussi incertaine en soi qu’indifférente à la physiologie. En prenant parti pour cette hypothèse du biologisme spiritualiste.