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tème de logique de M. Stuart Mill[1]. Il est possible qu’une foule d’auteurs de second ordre aient mérité les reproches de M. Mill. Mais on ne saurait adresser de semblables critiques à de vrais mathématiciens sans une erreur évidente dans l’interprétation de leur pensée. Voici par exemple un passage de Poinsot qui se réfère précisément à l’un des exemples choisis par M. Mill :

« L’idée que nous avons des corps est telle, que nous ne supposons pas qu’ils aient besoin de mouvement pour exister. Ainsi, quoiqu’il n’y ait peut-être pas dans l’univers une seule molécule qui jouisse d’un repos absolu, même dans un temps limité très-court, nous n’en concevons pas moins clairement qu’un corps puisse exister en repos.

Mais, si ce corps est une fois en repos, il y demeurera toujours, à moins qu’une cause étrangère ne vienne l’en tirer, car, comme le mouvement ne peut avoir lieu que dans une certaine direction, il n’y aura pas de raison pour que le corps se meuve d’un côté plutôt que de tout autre ; et, par conséquent, il ne se mouvra point. Donc, si un corps en repos vient à se mouvoir, on peut être assuré que ce n’est qu’en vertu d’une cause étrangère, qui agit sur lui. Cette cause, quelle qu’elle soit, qui ne nous est connue que par ses effets, nous l’appelons force ou puissance. La force est donc une cause quelconque de mouvement[2]. »

Faut-il conclure de ce passage que, pour Poinsot, les forces soient des êtres métaphysiques, immatériels, extérieurs aux corps, qui viennent agir sur eux pour les mettre en mouvement, comme la raquette d’un enfant qui envoie et qui renvoie la balle ? Nullement. Poinsot veut dire simplement ceci : pour exposer avec clarté les principes de la mécanique, il faut supposer, si l’on veut, par abstraction, que tout mobile se distingue des causes qui peuvent le mouvoir quand il est en repos ou modifier son mouvement quand il est en mouvement. Cela posé, si l’on admet par hypothèse qu’un corps est en repos, et si l’on admet aussi par hypothèse qu’aucune cause de mouvement n’agit sur lui, le corps restera en repos ; car il n’y a rien dans l’hypothèse qui puisse expliquer son mouvement, et l’on n’a pas le droit de chercher une explication en dehors de l’hypothèse. — Alors, dira-ton, c’est un cercle. Vous posez que le corps est en repos, et vous concluez qu’il est en repos. Point du tout. Pour qu’il y eût un cercle, il faudrait qu’il y eût raisonnement ; or Poinsot ne raisonne pas et ne démontre rien. Il explique simplement dans quelles conditions

  1. L. V, c. iii, § 5.
  2. Éléments de statique, p. 1.