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sommet de la mosquée de Sainte-Sophie, et le jour où l’Angleterre brûlera son dernier morceau de charbon. »

Mais Leibnitz n’avait nul souci du charbon anglais en imaginant ses monades ; il n’était ni matérialiste ni atomiste, et il ne croyait pas que l’activité immanente à la matière fût un pont jeté sur l’abime qui, pour Descartes, séparait le monde sensible du monde psychique. Entre le corps matériel actif et l’âme également active, nul contact, nul rapport, nul lien, qu’un rapport ou un lien métaphysique, l’harmonie préétablie. « Le commerce de l’âme et du corps ne consiste pas dans un échange d’actions réciproques, mais dans une simple harmonie préétablie dès la création. Les âmes s’accordent avec les corps en vertu de cette harmonie et nullement par une influence physique mutuelle et actuelle. » M. Chauffard semble faire bon marché de cette doctrine de Leibnitz ; le hen de l’harmonie préétablie lui paraît trop frêle ; le corps si lâchement uni à l’âme retombe trop facilement sous l’empire des lois mécaniques. Et en effet, pour Leibnitz comme pour Descartes, les manifestations corporelles se développent indépendamment de l’intervention actuelle du principe spirituel, de l’âme. « Le corps se développe mécaniquement, et les lois mécaniques ne sont jamais violées dans les mouvements naturels ; tout se fait dans les âmes comme s’il n’y avait pas de corps, et tout se fait dans le corps comme s’il n’y avait pas d’âme. » Le corps est une machine montée, formée de rouages, de ressorts, de leviers, de pressoirs, de cribles, de tuyaux, de soupapes, de creusets, de matras, de cornues, d’alambics fonctionnant suivant les lois générales de la nature physique. — M. Chauffard a horreur de ce grossier mécanicisme, et il repousse les principes qui doivent nécessairement y conduire. De la doctrine de Leibnitz il accepte la conception de la matière unie à un principe d’activité et il repousse l’harmonie préétablie. Est-ce à dire que M. Chauffard va faire cause commune avec l’école matérialiste, qui accepte et repousse les mêmes parties des idées leibnitziennes ? En aucune façon. L’école matérialiste résout le plus simplement du monde le problème qui tourmentait le génie de Leibnitz : en le niant. Entre la matière active et l’âme active, l’activité sert de trait d’union : il n’y a pas à en chercher d’autre. Ces activités, Leibnitz avait tort d’en faire deux ordres distincts. L’activité matérielle est un minimum d’âme ou de pensée qui, par une gradation continue et une complication successive, sans solution de continuité, sans saut brusque de l’homogène à l’hétérogène, s’élève à travers la série des êtres vivants jusqu’à la dignité de l’âme humaine. L’observation des transitions, décalque imparfait de la méthode géométrique des limites, permet ainsi de passer de l’acti-